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Les souverains du second ordre supportent volontairement, mais pourtant impatiemment, le joug de l’Autriche et de la Prusse : que ce joug cesse de paraître nécessaire à leur sûreté ; qu’il se rencontre parmi eux un seul prince ambitieux, remuant, habile à trouver des points d’appui à l’intérieur et à l’extérieur, et il ne lui sera pas nécessaire de sortir des limites de la constitution fédérale pour remettre en question tout ce qui a été fait depuis vingt ans.

L’Autriche et la Prusse ayant pris en main la direction suprême des affaires de l’Allemagne, leur union est une condition absolue du maintien de l’ordre existant : or, il est difficile de croire à la longue durée de cette union. Il leur a été possible de s’entendre pour comprimer chez leurs voisins l’esprit révolutionnaire et même l’esprit constitutionnel ; mais, cet intérêt commun mis à part, il existe entre elles, sur presque tout le reste, une rivalité sourde qui ne manquerait pas d’éclater si les circonstances venaient à changer. Chacune des deux puissances vise à exercer une influence prépondérante sur l’Allemagne ; mais, dans cette lutte qui remonte à Marie-Thérèse et à Frédéric II, l’Autriche n’a cessé de perdre du terrain, tandis que la Prusse n’a cessé d’en gagner. D’abord, celle-ci est considérée comme la tête du protestantisme, lequel, au lieu d’être en minorité dans la diète, comme au temps du saint-empire, y possède une immense majorité, et elle a toujours exploité avec une infatigable activité les avantages que lui donnait cette position. L’Autriche, au contraire, est une protectrice fort tiède de l’église romaine, vis-à-vis de laquelle elle s’est placée, depuis Joseph II, dans une position presque schismatique, et sa crainte de tout ce qui peut ressembler à des idées révolutionnaires lui interdit de chercher un point d’appui dans les nombreuses populations catholiques soumises à des princes protestans. La Prusse, où l’élément germanique a la prépondérance absolue[1], se vante d’être une puissance essentiellement allemande. Placée à la tête du mouvement scientifique et littéraire de l’Allemagne, dont ses universités sont le foyer le plus actif, elle est devenue en outre, par la fondation de l’union des douanes, le centre et comme l’arbitre des intérêts matériels de vingt-cinq millions d’Allemands. La bizarre configuration de son territoire la met en contact immédiat avec presque tous les états secondaires de la confédération, et il n’en est aucun avec lequel elle n’entretienne de ces relations habituelles qui assurent aux forts et aux habiles au moins une

  1. Les cinq sixièmes de la population des états prussiens sont de race allemande.