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main, en effet, n’a jamais paru plus incertain et plus actif à la fois. Impétueux et flottant, il passe et repasse rapidement par l’incrédulité et le fanatisme. Il se dégoûte de ses œuvres avant de les avoir finies, se désabuse de ses systèmes avant de les avoir éprouvés ; il dénigre ce qu’il crée, et pourtant s’acharne à détruire. Il n’admire que la grandeur des ruines qu’il a faites, et regarde à peine le monument qui s’élève. L’architecte déprime ce qu’il construit, car, en toutes choses, l’art ne se distingue plus de la critique. De là cette stérilité et cette impuissance dont notre époque s’accuse avec une sorte d’orgueil ; de là ces dédains qu’elle adresse à la raison dont elle est si vaine, et la défiance qu’elle témoigne envers elle-même. L’esprit humain se juge en s’exaltant, et le mal qu’il dit de lui ne l’empêche pas d’abuser de ses forces, et de frapper sans cesse en se déclarant incapable de réparer ce qu’il aura brisé. Témérité folle ou folle humilité !

Long-temps cette disposition des esprits n’avait encouru la sévérité que des partisans du passé. Aujourd’hui, les novateurs eux-mêmes se plaisent à l’accuser ; et, dans leurs plans régénérateurs, c’est contre elle qu’ils en appellent à l’avenir et qu’ils s’arment des ressources inconnues d’une perfectibilité dont on dirait qu’ils disposent. Et peut-être, par leurs plaintes comme par leurs promesses, ne font-ils qu’ajouter le doute au doute, le désordre au désordre, et porter leur tribut d’anarchie à l’anarchie que poursuivent leurs anathèmes.

On exagère le mal, mais il existe. Bien que de nouveaux prophètes démontrent journellement comme quoi la société se meurt, nous la voyons vivante, nous la croyons durable ; mais nous avouons qu’elle souffre, et ne nions pas la maladie afin de nous dispenser de chercher le remède. Il en faut un sans doute, et le secret en repose ignoré dans le sein silencieux du temps qui sait tout.

Mais quelle est cette maladie morale d’une société trop orgueilleuse pour rien croire sur la foi de l’autorité, trop timide pour rien croire sur la foi de sa raison ? Elle porte le nom d’un système philosophique ; tout le monde l’appelle le scepticisme.

S’il est vrai que l’esprit humain en soit atteint, qu’il unisse un excès d’activité à un excès d’incertitude, recherchons si la philosophie, mieux inspirée, n’aurait rien à opposer à ces maux contradictoires. Elle voit, disons-nous, l’esprit humain actif et incertain. Que fait-elle ? elle va à lui, elle l’observe. Et qu’aperçoit-elle ? des facultés essentielles et des vérités primitives. À l’activité elle répond par le tableau des facultés ; à l’incertitude, par le tableau des vérités. Grace