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son identité. Or, ce que la personne intérieure se sent être, aucun objet extérieur ne nous le paraît être. L’unité ne se montre nulle part autour de nous ; tout le monde matériel est divisible. Ses parties se conçoivent encore, alors même qu’elles ne s’aperçoivent plus. Si donc le sujet de nos facultés, si le moi est un et indivisible, la substance du moi l’est également ; elle est simple, une, immatérielle ; elle est l’ame, l’ame, seule et véritable unité qui subsiste et dure en nous à travers tous les changemens de la vie, centre invisible où se confondent tous les sentimens et toutes les idées, force insaisissable que se disputent les passions les plus vives, les affections les plus tendres, les vertus les plus pures ; victime sainte que dévoue tour à tour l’amour et l’héroïsme. Et comment avons-nous appris ce qu’elle est ? en étudiant nos facultés intellectuelles.

Ces exemples simples montrent assez comment la science de l’esprit humain touche immédiatement à la science des êtres ; en d’autres termes, quel lien étroit unit à la psychologie l’ontologie. L’utilité et le sérieux de la philosophie se témoignent également par ces deux applications de ses procédés les plus élémentaires. Il n’y a rien de frivole apparemment à tenter de se faire une idée exacte de ce que peut être l’espace, obscure recherche où succomba Newton, et que supposent toutes les mathématiques. C’est tout au moins pour la science quelque chose de curieux. Et, pour la science comme pour la morale, comme pour le bonheur, est-il indifférent de savoir si l’homme intérieur n’est que le centre des organes corporels, ou s’il réside en lui un principe supérieur aux altérations de la matière, qui ne souffre pas des mêmes atteintes, qui ne périt pas des mêmes coups ?

Nous croyons, par ces analyses faciles, avoir fait tour à tour comprendre l’objet, la méthode, la portée et la dignité de la philosophie.

Voilà pourtant la science que néglige le public, c’est-à-dire les gens de lettres et les gens du monde. L’oubli, l’indifférence, et parfois le dédain, tel est pourtant le partage de ces recherches ingénieuses ou profondes qui jadis ont captivé les plus grandes intelligences dont l’humanité ait gardé mémoire, qui plus récemment ont distrait souvent les deux héros du XVIIIe siècle, Voltaire et Frédéric, et qui trouvaient alors une place entre la poésie et la victoire.

Plusieurs causes ont amené ce détachement philosophique, et jusqu’à un certain point le justifient. Mais il en est une qui domine les autres, et qui s’aperçoit tout d’abord. La philosophie est l’œuvre de la réflexion désintéressée sur l’humanité et sur la nature ; or, notre