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Elles ne remplacent pas, et je ne sais si elles valent l’étude directe de l’esprit humain. Or, cette étude est éminemment la philosophie. Celle-ci se complète sans doute par la science de la société, mais elle la précède, l’éclaire, la soutient, et jamais elle n’est négligée ou méconnue sans péril pour le reste des connaissances humaines.

Cependant il semble que, tandis que la philosophie s’est relevée avec éclat dans les écoles, elle soit loin d’exciter autant d’attention, d’exercer autant d’empire dans la littérature et le monde qu’il le faudrait peut-être pour le salut et le progrès de la raison. Depuis le siècle qui s’est appelé le siècle de la philosophie, elle a perdu de son crédit et de sa popularité. On fait de la métaphysique sur beaucoup de choses, excepté sur la métaphysique même. On philosophe à tout propos, mais on délaisse un peu la philosophie. Elle n’a même pas bien bonne renommée. Elle est suspecte au sens commun comme inutile et douteuse ; les sciences positives lui reprochent une témérité vague, une chimérique ambition ; les théories historiques et sociales la tiennent pour timide, étroite, stérile : accusations contradictoires qu’elle pourrait rétorquer sans injustice. Où donc ne se rencontrent pas des idées exclusives, des spéculations hasardées, des variations qui troublent l’esprit ? Où sont les croyances inébranlables et les systèmes incontestés ? Quelle science contemporaine pourrait jeter la première pierre à la philosophie ?

C’est pour elle que nous voudrions dérober au public quelques instans d’une attention si partagée. Et cette entreprise n’est pas pour nous une pure satisfaction de l’esprit ; nous verrions un peu d’utilité réelle dans le rappel des intelligences à la philosophie. Mais avant d’expliquer nos motifs, essayons de donner quelque idée de ce que c’est que la philosophie.

Il ne s’agit pas de la définir. Cette définition, si elle est possible, exige une connaissance plus complète et plus approfondie de la science que nous ne pouvons la supposer encore, que jamais peut-être nous n’oserons nous l’attribuer. Il importe seulement d’établir quelle sorte de science est celle dont l’abandon nous semblerait funeste à l’intelligence.

L’esprit humain a des facultés et des notions. Il agit par ces facultés ; il juge en effet, il se souvient, il raisonne. En agissant, il trouve, il acquiert ou forme des notions, celles, par exemple, de l’existence, de la durée, de l’action. Au moyen de ces facultés et de ces notions dont il n’a point d’abord une conscience distincte, il connaît beaucoup de choses, il apprend tout ce qu’il sait. Ainsi il découvre que