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REVUE. — CHRONIQUE.

son berceau l’indépendance religieuse de l’Allemagne. Le protestantisme porte la peine de son origine ; ayant rompu la chaîne de la tradition, il se trouve suspendu entre le ciel et la terre, livré à tous les vents, et il tombe dans les bras des rois. Mais ne croyez pas qu’il soit mort. L’énergie qu’il avait eue pour la révolte, il la met aujourd’hui au service de l’autorité. Telle est la force de l’unité et de la discipline, qu’après trois siècles d’agitations et de détours, le protestantisme converge lentement vers celle de ses églises qui en a conservé le dépôt, et vient aboutir à la papauté anglicane. Les rois reculent effrayés devant les tempêtes que l’esprit de la réformation déchaîne incessamment dans le monde. Ils se souviennent que Luther a déjà fait tomber deux têtes souveraines, et le spectre sanglant de 1648 et de 93 se dresse à leur chevet. Le roi de Prusse a été voir White-Hall, et cette cour abandonnée où la statue de Jacques II montre du doigt la trace de l’échafaud de son aïeul ; il a contemplé, comme le grand René, ce « marbre tragique ; » il a vu la fenêtre par laquelle sortit le premier roi martyr pour aller au supplice, et la place où tomba sans pâlir cette fière et noble tête dont Van-Dyck a immortalisé la mélancolie. Un jour peut venir aussi pour l’Allemagne où le libre arbitre attaquera la monarchie temporelle, comme il a déjà détruit la monarchie spirituelle. Mais, rattaché à l’église d’Angleterre, à cette ancre solide qui repose dans le fond de l’Océan, le protestantisme continental concentrera les forces qu’il perdait en les jetant à tous les vents. Le catholicisme est au moment de la lutte la plus formidable qu’il ait eu à soutenir depuis la réformation. Il a devant lui, non plus le protestantisme isolé, divisé, morcelé, mais le protestantisme marchant rapidement à l’unité. L’heure viendra, l’heure solennelle, où la papauté anglicane se lèvera en face de la papauté romaine, et où, si l’on peut ainsi parler et scinder ce qui est indivisible, la conscience humaine, déchirée en deux, assistera, palpitante et éperdue, au duel mortel de ces deux unités.

En finissant, nous voyons avec amertume que nous avons à peine osé prononcer le nom de la France. Hélas ! que faisons-nous aujourd’hui dans le monde ? Dans le travail fébrile de nos esprits, où est le lien, le centre, le but ? Une théocratie ennemie grandit chaque jour à nos côtés, sous nos yeux. L’ombre sinistre vient de traverser l’air au-dessus de nos têtes : elle avait dans une main la Bible, et dans l’autre une épée. Avons-nous frémi quand elle passait ? Avons-nous tressailli quand son souffle a glissé sur notre face ? Autour de nous, tout s’organise, tout s’unit, tout se rallie, tout prie ; le monde, à peine convalescent de la révolution française, cherche à se remettre des affreuses secousses que nous lui avons données, les peuples sont dans l’attente d’émotions inconnues et se préparent aux grandes luttes des idées, et nous, grand Dieu ! nous déchirons nos entrailles, nous faisons la chasse aux rois comme à des bêtes fauves ; nous fuyons la face de nos semblables, nous élevons entre eux et nous des remparts inanimés, et nous restons seuls sur la terre, assis sur les débris de nos autels, et sur le corps de nos rois assassinés.

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