Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/502

Cette page a été validée par deux contributeurs.
498
REVUE DES DEUX MONDES.

respectée comme étant la religion de l’état, ou bien parce que toute tentative pour faire d’eux des chrétiens serait considérée comme un empiètement sur les droits que peut avoir l’église grecque à les convertir exclusivement.

Maintenant, nous serions curieux de savoir à quoi l’on veut faire servir le nouvel évêque. Il donnera la main droite à l’église grecque, la main gauche à l’église musulmane, le baiser de paix à toutes. Que lui restera-t-il à faire ? Le voici. On espère, dit-on, que le contraste entre la conduite du primat anglais et celle du pape fera naître dans le Levant une opinion favorable à l’église d’Angleterre. Ainsi, pendant que Rome étend continuellement ses envahissemens chez les églises d’Orient, les deux grandes puissances protestantes de l’Europe auront planté au milieu d’elles une église dont l’évêque est spécialement chargé de ne pas empiéter sur les droits spirituels et sur les libertés de ces églises, mais de ne s’occuper que de ceux sur lesquels elles ne peuvent légitimement réclamer aucune juridiction… et de présenter à leurs yeux, sans leur en imposer l’acceptation, le patron d’une église essentiellement conforme à l’Écriture par ses doctrines, et apostolique par sa discipline.

Nous avions bien vu dans les livres que des ambassadeurs allaient porter dans les cours étrangères le portrait de leurs reines pour leur trouver des maris, nous avions lu des histoires de princes et de princesses qui tombaient éperduement amoureux sur la foi d’une image, mais nous ne savions pas que le procédé fût à l’usage des églises. Et nous qui avions la simplicité de nous inquiéter de cet évêque, et de le prendre pour une personne animée ! Mais non, c’est un patron ! c’est un portrait, c’est une lithographie de l’archevêque de Cantorbéry que l’on expose à Jérusalem. Si l’expérience réussit, sans doute le primat se fera tirer à plusieurs exemplaires pour les répandre dans le reste du monde !

Tout ceci est un mauvais jeu. Non, l’Angleterre ne va pas dans l’Orient pour s’y croiser les bras. Pour nous, qui ne comprenons pas la neutralité des religions, nous ne ferons pas un reproche à l’église anglaise de son activité ; elle fait son devoir et nous montre le nôtre. Si les nations protestantes plantent leur drapeau dans le Levant, que les nations catholiques y relèvent le leur. L’Angleterre fait des promesses qu’elle ne pourrait pas tenir quand elle le voudrait : elle fera la propagande chez les Grecs, la propagande chez les musulmans, la propagande chez les juifs, chez les catholiques, chez les nestoriens chez les jacobites, chez tous. Encore quelques années, et l’Orient est perdu pour les nations latines.

Si du moins l’Orient seul était menacé. Mais l’Occident ! mais-nous !

Entendez-vous ces cris de triomphe qui s’élèvent autour de nous dans des langues étrangères ? C’est au pied d’un autel commun, et chez le peuple qui est la plus splendide expression de leur race commune, que les nations germaniques et protestantes renouvellent leur alliance.

Voici Luther, Luther couronné et dégénéré, qui tient sur les fonts baptismaux le souverain futur du plus grand empire du monde, et qui abjure sur