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REVUE. — CHRONIQUE.

verrions pas comment et de quel droit les autres puissances européennes pourraient empêcher la Grande-Bretagne de réclamer pour ses coreligionnaires les priviléges que ces puissances ont obtenus pour les leurs. L’église latine et l’église grecque sont, dans le Levant, sur le terrain d’anciens traités et d’une reconnaissance qui renferme des droits politiques précieux. L’église grecque est d’ailleurs sous la protection de la Russie, l’église latine sous celle des grandes puissances catholiques. Les églises protestantes manquent seules de toute reconnaissance légale, et les puissances qui les représentent viennent aujourd’hui la réclamer pour elles. Ce que nous voyons avec effroi, c’est que la religion anglicane s’avance dans l’Orient tout éclatante du prestige que de récens et trop funestes exploits ont répandu sur sa patrie. Comment lire sans tristesse les paroles triomphantes par lesquelles ses organes célèbrent ce nouveau progrès : L’Angleterre, disait l’un d’eux, est aujourd’hui le nord qui est dans la bouche de tous les hommes de tous les pays et de toutes les couleurs ? C’est l’Angleterre qui donne l’exemple au monde ; comment ne donnerait-elle pas celui de protéger la religion de son peuple partout où elle est répandue ? Déjà une émotion prodigieuse a parcouru l’Asie, à la nouvelle qu’elle allait voir la religion chrétienne sous la forme dans laquelle la professe la nation que les Asiatiques considèrent comme la plus active, la plus entreprenante, la plus intelligente et la plus puissante sur la face de la terre. Pour la première fois, les musulmans contemplent la religion chrétienne purgée de toutes les corruptions des églises latine et grecque, et représentée, non plus par les humbles, ignorans et persécutés nestoriens, mais par les forts et intelligens Anglais, les maîtres dans tous les arts, les invincibles à la guerre, les hommes qui, à l’heure du danger, ont sauvé l’empire ottoman. » Voici un hommage moins suspect, puisqu’il est rendu par une voix étrangère, et plus éclatant, puisqu’il vient d’une bouche royale : « Des négociations partielles avec la Porte, dit le roi de Prusse, n’offraient aucune perspective de succès réel. Les rapports immédiats de la Prusse avec l’Orient ne sont pas encore sensibles jusqu’ici pour le gouvernement ottoman. La Porte ne connaît la Prusse que comme une grande puissance de l’Europe, dont l’union avec d’autres puissances a garanti sa sûreté. Il n’en est pas de même des relations de la Grande-Bretagne avec la Porte. Par sa marine et par son commerce, l’Angleterre possède en Orient une puissante influence… »

En présence de pareils avertissemens, comment s’étonner que l’Autriche ait protesté, que la Russie, que la France elle-même, aient protesté ? Mais la création de l’évêché protestant à Jérusalem a encore rencontré une autre opposition qui a cela de particulier, qu’elle est partie du sein de l’Angleterre elle-même ; et ici nous entrons dans un autre ordre de faits.

Quand nous avons dit que les luttes de doctrine, en Angleterre, s’étaient établies en dehors de l’église sans pénétrer au dedans, nous n’avons voulu parler que du passé ; car en ce moment même il s’accomplit au cœur de l’église d’Angleterre une des révolutions les plus graves dont le monde des idées ait