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part dans les revenus du clergé, en lui contestant son titre de protestant. Savez vous qui fut chargé de résoudre le problème ? Ce fut le plus haut tribunal civil du pays, ce furent les quinze juges. Les quinze juges délivrèrent à l’église d’Écosse un certificat de protestantisme, et leur sentence coupa court à toute controverse. Transportez la scène en France, supposez une querelle d’orthodoxie, et appelez-en à la cour de cassation et à M. le procureur-général.

Les mêmes raisons qui font que des religions étrangères ne peuvent reconnaître une autorité spirituelle en Angleterre sans reconnaître en même temps une autorité temporelle, font aussi que l’église anglicane ne peut fonder dans des pays étrangers un établissement ecclésiastique régulier sans porter atteinte à leur indépendance nationale. Il faut bien le redire, tout nouveau membre de l’église d’Angleterre devient, pour ainsi dire, un nouveau sujet de la couronne d’Angleterre. Quand le vieillard éternel qui siége au Vatican crée des évêques in partibus infidelium, ses envahissemens ne se font que dans le domaine spirituel ; quand, du haut de la coupole de Saint-Pierre, il lève ses deux mains tremblantes pour les imposer urbi et orbi, il s’adresse au monde des consciences libres, qui n’est borné ni par les mers, ni par les fleuves, ni par les montagnes, ni par la diversité des lois et des langues ; il ne trouble point les nations parce qu’il n’est d’aucune, et c’est sa faiblesse terrestre qui fait sa force divine. Dans la religion anglaise, au contraire, le nom du roi ou de la reine est inséparable de celui de Dieu. Que cette religion fasse de la propagande, c’est son droit ; qu’elle expédie des missionnaires et fasse des conversions dans toutes les parties du monde, c’est son droit ; mais qu’elle fonde dans des pays étrangers et alliés une église régulière dont le premier dogme est d’être nationale, et qui met sa nationalité avant sa foi, c’est une liberté qu’elle ne peut se permettre que dans des colonies britanniques, et une usurpation contre laquelle l’Europe a le droit de protester, usurpation d’autant plus dangereuse qu’elle s’accomplit surtout dans l’ordre moral, et qu’elle devient ainsi plus difficile à saisir, à prouver et à combattre.

Le dessein de l’Angleterre, en fondant un évêché à Jérusalem, est de se faire la protectrice des rayas protestans, comme la France était autrefois celle des rayas catholiques, d’enlever peu à peu à la Russie le protectorat de l’église grecque, et enfin d’établir un centre de propagande parmi les Juifs. Les évêques ont pensé, ainsi qu’ils le disent, « que le spectacle d’une église avec une foi pure, l’unité de l’esprit, et le lien de la paix, implantée dans la cité sainte, attirerait naturellement les regards de la nation juive de tout l’univers, et centraliserait, pour ainsi dire, les efforts éparpillés qui sont faits pour sa conversion. » C’est d’ailleurs la conversion de quelques Juifs à Jérusalem qui a servi de prétexte à la création de l’évêché, et nous avons déjà dit que l’évêque nommé est un juif converti.

L’intention de l’Angleterre d’exercer dans le Levant un protectorat protestant est, du reste, hautement avouée, et nous devons dire, que si la religion anglicane n’avait pas un caractère politique tout-à-fait exceptionnel, nous ne