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REVUE. — CHRONIQUE.

concentre peu à peu autour d’elle tous les élémens de la patrie allemande ; elle s’adresse à tous les mobiles du cœur humain, à la foi et à l’intérêt ; elle fait l’union des religions et l’union des douanes ; de jour en jour, elle enlève à l’Autriche la tutelle des états germaniques, et la rejette sur l’Italie et sur les pays slaves.

Rome et toutes les nations qui relèvent spirituellement de son siége sont encore plus menacées. Le protestantisme se transforme et se concentre. Il était né de l’insurrection et de la division, et voici qu’il se reconstitue sur la base de l’autorité et de l’association. Autrefois il avait pour principe l’indépendance mutuelle des églises de tout chef commun, aujourd’hui il gravite peu à peu vers un centre unique. L’église anglicane ne se contente plus d’inonder de ses missionnaires et de ses bibles toutes les parties du monde, elle y implante des églises régulières, émanées de son sein et relevant de sa primauté ; et la reine Victoire, comme la Rome du moyen-âge, trace des juridictions sur la carte, et distribue l’univers aux délégués de son autorité.

L’église nationale de l’Angleterre occupe une position unique dans les annales de l’esprit humain. Protestante par son origine, protestante par son nom, elle est en réalité l’institution la plus rigoureuse, la plus implacable et la plus tyrannique que l’autorité ait jamais imposée à un peuple. Si donc on décerne encore à l’établissement anglican le titre de protestant, ce n’est qu’en sacrifiant à une usurpation que le temps et l’usage ont consacrée, car on pourrait dire qu’il n’a de commun avec la réformation de Luther qu’une origine contemporaine.

Sans doute la réformation en Angleterre comme en Allemagne fut faite au nom et à l’aide de la raison ; mais, dès que la raison eut accompli son œuvre de destruction, le pouvoir temporel lui arracha des mains l’arme du jugement individuel avec laquelle elle avait vaincu la papauté. La royauté, rencontrant au pied du trône un épiscopat tout prêt à apostasier, se contenta de dépouiller le clergé régulier, qui relevait plus immédiatement de Rome, et, laissant au clergé séculier ses biens et son organisation, elle trouva sa plus ferme base dans les élémens d’ordre et les traditions d’autorité que lui apportait l’église transfuge. L’unité spirituelle ne fut donc pas détruite, elle se transforma et s’absorba dans l’unité temporelle ; en sortant du sein maternel de Rome, l’ancienne église d’Angleterre emporta avec elle la hiérarchie, la discipline et tout ce qui constitue l’ordre extérieur et matériel ; ayant perdu l’unité dans le pape, elle la chercha dans le roi ; il n’y eut qu’une substitution de personnes, et la réformation anglaise ne fut, pour ainsi dire, qu’une révolution dynastique. Ce fut ainsi qu’en Angleterre le principe de l’autorité traversa le déluge de la réformation. Après la tourmente, l’église se retrouva debout avec les mêmes institutions, presque avec les mêmes hommes ; rien n’était changé dans la structure extérieure de l’édifice, c’était dans les fondemens que la tempête continuait et qu’elle gronde encore aujourd’hui. C’est un des plus singuliers spectacles que présente l’histoire. Les élémens sont déchaînés, les cataractes inépuisables du ciel versent leurs torrens et sub-