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REVUE. — CHRONIQUE.

courage de ses opinions, de ce courage si rare et si beau, n’ont pas manqué dans cette mémorable discussion. N’avons-nous pas entendu M. Thiers développer avec un admirable talent, avec ce talent qui sait revêtir toutes les formes et qui s’est montré tour à tour si facile et si souple, si énergique et si ferme, développer, dis-je, des considérations, des avis, des prévisions qui pourraient demain lui être un obstacle comme candidat au pouvoir ? M. Thiers ne parlait pas au hasard, légèrement, entraîné par la vivacité de sa parole, par le feu de la discussion, comme un conscrit de la tribune. M. Thiers nous a dit lui-même quel pouvait être, au point de vue de ses intérêts personnels, l’effet de ses paroles, et il les a cependant toutes prononcées, toutes maintenues, par cela seul que dans son opinion ces paroles lui étaient dictées par une inspiration patriotique, par son devoir d’homme d’état. On peut ne pas adopter ses opinions, ne pas partager ses prévisions ; mais bien malheureux serait celui qui n’en admirerait pas le désintéressement et le courage.

Dans la question du droit de visite, n’avons-nous pas vu M. de Tracy, lui si passionné pour les droits, pour l’honneur, pour la dignité de son pays, se séparer un moment de ses amis, et appuyer le ministère sur une mesure qui paraissait à M. de Tracy nécessaire pour l’extirpation d’un abominable trafic ?

Enfin, pour ne pas trop multiplier les exemples, nous aimons à rappeler les quelques paroles de M. le maréchal Sébastiani sur la même question. Nul ne s’attendait à le voir aborder la tribune ; son silence n’aurait étonné personne ; c’est un de ces honorables vétérans auxquels la patrie permet le repos. M. Sébastiani n’avait rien à craindre, rien à espérer, il n’avait ni obstacle à écarter, ni marche-pied à se préparer. Le traité de 1831, signé au milieu de circonstances politiques toutes particulières, avait été en quelque sorte couvert et presque effacé par deux traités postérieurs, celui de 1833 et celui de 1841. Les tendances de la chambre étaient manifestes. M. Sébastiani ne s’est pas flatté, n’a pas même essayé de les changer. Non, mais il a dit cependant quelques paroles fermes, nettes comme son esprit ; il les a dites uniquement pour maintenir son avis, pour confirmer son opinion ; c’est une satisfaction morale qu’il se donnait, d’autant plus noble et pure, qu’elle n’avait, qu’elle ne pouvait avoir d’autre but, d’autre résultat, que cette satisfaction elle-même.

Pour en revenir à la situation du ministère vis-à-vis de la chambre, nous ignorons quelles pourront être les déterminations du cabinet au sujet du droit de visite. Là est la difficulté du moment. La solution des autres questions internationales peut être retardée ou modifiée. Sur les questions intérieures, la situation du cabinet s’est momentanément améliorée par la suite des débats. C’est là un fait qu’aucun homme impartial et sérieux ne peut méconnaître. Cette situation se fortifiera-t-elle encore par de nouveaux débats ? Sous le feu de la bataille, une majorité, non pas nombreuse, mais de plus en plus ardente et dévouée, se rattachera-t-elle au cabinet, comme à un général qui