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rattachés à un grand système. Les départemens, les communes, s’animent à la pensée de ces grands travaux, et ne reculent pas devant les sacrifices qu’ils commandent. Le pays attend une loi, une loi digne de la France. L’aura-t-il ? Hélas ! le ministère paraît vouloir la proposer ; mais les intérêts particuliers se préparent, dit-on, à de rudes combats, à une résistance opiniâtre contre tout projet qui ne leur donnerait pas pleine satisfaction. Et comme il est impossible de les satisfaire tous au même degré, en même temps, on peut tout craindre de leurs passions et de leur aveuglement. Les deux chemins de Versailles sont là pour attester jusqu’où peut aller l’obstination aveugle d’hommes d’ailleurs graves et sérieux, et auxquels du moins nul ne conteste l’habileté du calcul. Nous ne connaissons pas le projet du gouvernement. Si, comme on le dit, il ne présente que deux chemins, il rencontrera d’immenses difficultés. S’il sacrifie le nord au midi, les plaintes du midi, quelques-unes fondées, les autres exagérées, sont déjà si nombreuses, qu’il soulèvera des réclamations violentes, et compromettra le sort du projet. Peut-être vaudrait-il mieux reproduire, en le modifiant, le projet de 1838 : non qu’il y ait possibilité ni convenance de tout commencer à la fois, mais afin que toutes les parties de la France puissent, dès l’abord, connaître le sort qui les attend, et s’y préparer. Plus un projet est partiel, et plus il compte d’adversaires. Il ne faut pas risquer de faire battre les chemins de fer en détail.

Peut-être nos craintes sont-elles excessives. Nous serions heureux de pouvoir nous en convaincre. Mais disons-le sans détours, ce n’est pas aujourd’hui qu’on peut facilement se rassurer sur ce point. Les intérêts particuliers ont-ils fait preuve de modération et de sagesse ? Lorsque le gouvernement, avec une bonté qui était presque de la bonhomie, a bien voulu les consulter sur nos relations commerciales, se sont-ils bornés à lui dire : — Dans vos traités de commerce efforcez-vous de concilier l’intérêt général du pays avec le nôtre, ne nous exposez pas à de brusques et violentes perturbations ? — Non, ils lui ont dit : — Ne faites point de traité de commerce. — Cela du moins est clair et praticable. Notre politique peut en souffrir, mais après tout c’est un isolement auquel nous pouvons nous condamner. Ce qui n’est ni clair ni praticable, c’est la prétention de conclure des traités avec nos voisins sans rien changer chez nous, c’est de se mouvoir sans bouger. C’est pourtant là ce qu’a dit, s’il dit quelque chose, le paragraphe de l’adresse de la chambre des députés sur les négociations commerciales.

En dernier résultat, on ne saurait nier que la chambre, que la majorité n’ait placé, sous certains rapports, le ministère dans une position délicate, on peut même dire très difficile. Le cabinet a maintenu les droits de la couronne ; il les a maintenus, reconnaissons-le avec fermeté, avec mesure, par la bouche de M. Guizot, dont la parole, de l’aveu même de ses adversaires, n’a jamais été plus habile que dans ces débats. C’était là un acte de bon gouvernement et de courage dont il faut savoir gré au cabinet. Au reste, empressons-nous de faire remarquer que les preuves de courage parlementaire, du