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les sacristains effarés montent en chaire, le monde s’émeut et court aux Italiens, et tout ce bruit, toutes ces paroles, tout ce noble et chaleureux enthousiasme, pour quoi ? pour quelques pages venues de Bologne, pour quelques versets de prose latine mise en musique autrefois par Rossini, et que le maître vient de reprendre, de refondre à son génie et de dater d’hier.

Nous ne réveillerons pas ici l’éternelle question de la musique religieuse, nous laisserons en paix les ombres d’Allegri, de Palestrina, de Pergolèse et de tous les divins fabricateurs de madrigaux et de subtilités inextricables ; nous laisserons le vieux Choron reposer dans sa tombe, et M. Chérubini dans son élysée du Conservatoire : seulement qu’il nous soit permis de demander à ces gens, toujours prêts à crier à la profanation, au scandale, à ces custodes ébouriffés de l’arche sainte, ce qu’ils entendent par musique religieuse. Une fois pour toutes, la monotonie et l’ennui qui en résulte sont-ils les conditions premières, inévitables, de la musique religieuse ? Ne saurait-on louer les anges sans fugues, et faut-il tant de contre-point pour dire amen ? La musique religieuse est-elle une formule puérile et vaine, une chose d’école, un secret de conservatoire ? ou ne doit-on pas avouer plutôt qu’à l’exemple de toutes les grandes manifestations de la pensée humaine, elle puise son expression sublime, sa force sympathique, dans le sentiment ? La source du génie est une, il n’y a que l’application qui varie, et l’application relève du fait de la volonté seule. Après tout, l’homme n’a de critérium qu’en lui-même, qu’en ses propres passions, et lorsqu’il est arrivé au terme suprême, au rayon le plus épuré, le plus radieux de cette échelle de Jacob, s’il ne touche à la Divinité, il s’en est rapproché le plus possible. On rencontre dans Mozart, dans Beethoven, dans Rossini, dans Bellini même, certaines phrases plus essentiellement religieuses, plus sacrées que les hymnes de la liturgie qui nous viennent pour la plupart du paganisme grec. Nous ne sommes plus au XIVe siècle. Condamner la mélodie comme hétérodoxe, et n’accepter pour le dogme que la formule, c’est faire absolument comme ces moines ascétiques qui répudiaient les fleurs avec leur parfum, les oiseaux avec leurs chansons, comme choses sensuelles et venant du diable. Dieu merci, les siècles ont marché, et, quand nous avons respiré une rose de mai ou que nous avons écouté chanter le rossignol au clair de lune, nous ne nous croyons pas damnés pour cela. Le catholicisme n’est plus ce qu’il était au temps de Grégoire VII et même de Léon X ; il ne s’agit pas plus aujourd’hui en musique des madrigaux de Palestrina qu’il n’est question en peinture des séraphins à dalmatiques de Cimabuë ou des martyrs béats de Fra Angelo de Fiesole. Puisque le domaine des sons a tellement grandi, pourquoi le sanctuaire resterait-il seul fermé aux conquêtes de l’art nouveau ? Remarquez que nous n’entendons point parler ici de ces ridicules tentatives où l’impuissance prend le masque de l’excentricité, de ces messes de morts à cimbales obligées ; ce sont là des jongleries dont personne ne veut pas plus au théâtre qu’à l’église, et qu’il faut laisser à la salle Musard qu’elles semblent avoir choisie pour tréteaux. Mais n’est-il pas permis de croire qu’il