notre scène française, où désormais un opéra se compose d’un tas d’ingrédiens excentriques ; à ce galimatias de couleur locale et de pittoresque au milieu duquel la musique a toutes les peines du monde à se reconnaître. Les belles mélodies et les voix franches, voilà pour les Italiens la grande affaire ; le reste ne leur importe guère ; la mélodie, pour eux, c’est le costume, le décor, le ballet, tout enfin jusqu’à la pièce. La belle occasion, en vérité, pour discuter de la vraisemblance d’un caractère, que le moment où chantent Rubini et la Malibran ! Il n’y a que les peuples qui n’aiment pas la musique qui se préoccupent tant des accessoires. Voyez les Italiens et les Allemands, avec quel dédain ils en usent en pareille matière ! Or, comparez un peu leur musique à la nôtre ! Il est vrai que nous avons des poèmes en cinq actes incontestablement mieux rédigés, et que notre mise en scène est irréprochable. Quant à nous, jamais nous n’aurons foi en Italie dans l’issue d’une réforme tentée en dehors de la mélodie pure. On aura beau faire, le pays de Dante et de Cimarosa, de Pétrarque et de Rossini, ne saurait devenir une terre favorable à l’éclectisme. Rêver, pour la mélodie italienne, l’harmonie de Beethoven, c’est poursuivre exactement la chimère de ces honnêtes gens qui souhaitent à Raphaël le coloris de Paul Véronèse. Mieux vaut encore, à tout prendre, le pâle Bellini, avec sa désinvolture incertaine, ses mélodieuses négligences, sa phrase élégiaque, sentimentale, mais encore italienne. Cependant, hâtons-nous de le dire, Mercadante a eu le bon esprit de ne point pousser les choses à l’extrême ; quoi qu’il fasse, il reste Italien, et toujours avec lui c’est le mélodiste qui domine. À ce titre, l’auteur de la Vestale a les chances, sinon de fonder une école bien vivace, du moins d’occuper avec honneur l’intervalle ouvert en Italie depuis la mort de Bellini, et de fournir une période musicale digne d’intérêt, en attendant la venue de quelque nouveau génie, qui sait ? peut-être le réveil du lion.
Ce qui se passe en ce moment à l’occasion du Stabat de Rossini est vraiment digne de remarque, et témoigne du moins en faveur du bon esprit de ce siècle, qu’on ne manque jamais d’accuser d’indifférence et d’ingratitude envers le génie. Voilà un homme qui depuis tantôt dix ans n’a rien négligé pour se faire oublier. Grand maître, salué partout d’acclamations illustres, comblé de prévenances et d’honneurs, il se retire au plus fort de sa gloire, après Guillaume Tell, son chef-d’œuvre peut-être, et va bouder en Italie, laissant le champ libre à d’autres, qui s’avancent pour l’occuper vaillamment. Pendant ce long silence, Meyerbeer a le temps d’établir sur des titres incontestables cette renommée européenne qu’on lui connaît, Bellini s’élève, et meurt comme les cygnes en chantant. Meyerbeer et Bellini, Robert-le-Diable et la Norma, les Huguenots et les Puritains, il y avait là de quoi porter atteinte au souvenir le plus profond, le mieux enraciné. Or, au moment où ce nom semble vouloir tomber en discrédit, tout à coup il se fait de nouveau un grand bruit autour de lui, on le cite, on le proclame comme aux plus beaux jours ; la discussion s’en empare, des querelles s’allument à son sujet : musique dramatique, musique religieuse, les dilettanti battent des mains,