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Publio, de cette admirable phrase : Pieta, di tuo figlio, di tuo sangue pieta, que Tamburini récite avec l’onction pathétique et profonde qu’il mettait autrefois dans la suave cantilène de la Straniera ; Meco tu vieni, o misera ! Je remarquerai aussi dans la phrase de Decio, à l’andante de ce finale, un accord en bémol majeur, où se rencontre un la naturel d’un effet merveilleux. C’est là une note vraiment trouvée, imprévue, que rien n’indiquait dans le cours de la mélodie et du morceau, un de ces hasards qui ne viennent qu’aux maîtres accoutumés à traiter l’harmonie avec distinction et curiosité, et Mercadante, on peut le dire, est du nombre. Bellini n’aurait pas eu l’instinct de cette note.

Au troisième acte, le chœur des vestales accompagnant Emilia au champ des sépultures est une noble et sévère inspiration, qui se distingue par la couleur du style et l’expression mélodieuse ; le chant des harpes, fort heureusement introduites, augmente encore par momens la mélancolie de cette musique, où vous respirez quelque chose de la morne désolation des campagnes du Tibre. Cette marche plaintive, mais non funèbre, conserve d’un bout à l’autre la simplicité calme, impassible, de l’art antique. Vous diriez une élégie sur le sacrifice qui va s’accomplir. Nous omettons à dessein la scène de folie, qui n’a guère que le mérite de passer inaperçue, preuve du moins qu’elle ne fait pas longueur. Nous aimons mieux donner tous nos éloges au duo d’adieux entre Emilia et Giunia, l’un des meilleurs morceaux de l’ouvrage, le plus pathétique sans doute, où se trouve un adagio rempli d’émotions et de larmes, dit avec beaucoup d’ame par la Grisi et l’Albertazzi, une de ces admirables phrases qui rappellent, mais par la manière seulement et le faire tout propre à Mercadante, la célèbre phrase, connue aujourd’hui de toute l’Europe, du beau duo d’Elena di Feltre, pour laquelle, à Milan, à Naples, comme à Vienne, il n’est jamais assez d’applaudissemens et d’enthousiasme lorsque Moriani et la Frezzolini la chantent.

La Vestale de Mercadante, quels que soient d’ailleurs les défauts qu’on lui reproche, peut à bon droit passer pour l’une des plus remarquables partitions qu’on ait écrites depuis dix ans. Il faut admirer dans cette œuvre, qui sort tout-à-fait de la ligne ordinaire, une fusion heureuse, intelligente, des principes élémentaires de l’art musical. Ce concours simultané de la mélodie et de l’orchestre, cet accord de la situation et de la musique, vous attirent tout d’abord et vous enchantent. Maintenant doit-on conclure de là qu’il y ait en Italie un grand avenir pour le système auquel Mercadante semble vouloir s’appliquer ? l’auteur d’Elisa e Claudio est-il appelé à fonder dans la patrie de Cimarosa une école sérieuse, et durable ? Franchement, nous ne le croyons pas. Qu’on y prenne garde : ce que les Italiens aiment, avant tout, ce sont les cavatines, les mélodies faciles, riches, abondantes, qui parlent beaucoup aux sens, un peu à l’ame, les mélodies qu’on retient et qu’on chante. En fait d’orchestre, les Italiens ne connaissent et n’admirent que celui de Rossini, qui, soit dit en passant, en vaut bien un autre, même tudesque, et ne comprendront jamais rien au système bâtard importé sur