Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/474

Cette page a été validée par deux contributeurs.
470
REVUE DES DEUX MONDES.

ne me trompe, le but où tendent les efforts de Mercadante ; efforts qui étaient sans doute dans son organisation mixte et quelque peu indécise entre le nord et le midi, mais que le besoin de prendre rang et d’arrêter plus nettement sa position à mesure qu’on avance en âge, a fini par rendre systématiques. En effet, on citerait peu d’exemples de musiciens ayant plus étudié, plus écrit, plus consciencieusement accompli leur tâche, que le maître dont nous parlons, et cependant vous ne trouveriez pas de gloire plus modeste, j’allais dire plus obscure. Ç’a été toujours la destinée de Mercadante de voir son nom étouffé par d’autres plus glorieux ou seulement plus favorisés. Toujours le génie ou le succès se sont trouvés là juste à point pour faire pâlir son étoile, si bien que beaucoup de gens s’imaginent encore, lorsque vous leur parlez de l’auteur de la Vestale, qu’il s’agit tout simplement d’un jeune musicien qui débute. Pendant la période italienne de Rossini, Mercadante écrivait Elisa e Claudio ; plus tard, il continua sous Bellini, et nous le retrouvons aujourd’hui profitant des intervalles que lui laisse Donizetti pour essayer des combinaisons nouvelles et tenter l’avenir, demandant au système ce que n’a pu lui donner la libre application du talent. Depuis vingt ans trois maîtres ont occupé la scène en Italie, trois royautés usurpatrices ou légitimes, mais absolues, Rossini, Bellini, Donizetti ; derrière chacun d’eux, vous distinguez Mercadante. Ils passent, et lui reste. Singulier privilége de ces organisations que la popularité n’adopte pas ; si le découragement et l’orgueil ne les emportent tout d’abord, elles vivent et se prolongent à l’infini. Habiles à se modifier selon les temps, progressives, s’emparant avec art des intermittences et paraissant alors dans toutes les graces du jour, ces organisations, après tout, sont assez bien partagées, et il ne faut pas trop les plaindre, car, si elles n’ont pas le chant du cygne, elles ne meurent pas comme lui.

Le choix d’un sujet emprunté aux archives classiques de l’Opéra devenait significatif chez un homme préoccupé, comme Mercadante, de notre système lyrique français. Nous regrettons seulement que ce choix se soit arrêté sur la Vestale. Non que nous professions le moins du monde un culte superstitieux pour l’œuvre du chevalier Spontini, et tenions que Mercadante ne soit pas de taille à se mesurer avec un pareil maître sur tel sujet qu’il lui conviendra ; à Dieu ne plaise ! même en ce moment, s’il nous fallait opter entre les deux partitions en litige, nous serions assez disposé à donner le pas à la nouvelle sur l’ancienne. Cependant il est des souvenirs à tort ou à raison consacrés par le temps qu’un artiste doit toujours se garder de réveiller dans l’intérêt de son propre succès. Vous ne ferez jamais comprendre à certaines gens qu’il peut exister une Vestale autre que celle de M. Spontini. Le nom du musicien et le nom de l’œuvre, à force d’avoir été prononcés, s’évoquent aujourd’hui l’un par l’autre. C’est là un fait accompli sur lequel (par bonheur pour M. Spontini) il n’y a plus à revenir en aucune façon. On dit la Vestale de Spontini comme on dit le Freyschütz de Weber, la Norma de Bellini, le Guillaume Tell de Rossini, hélas ! et comme on dit aussi, ô néant de la gloire ! le Rossignol de Lebrun. Nous remarquions tout à l’heure l’espèce