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LA REPRISE DU CID.

pétulance et l’ardeur de la jeunesse, puis de le faire grandir peu à peu sous nos yeux et devenir le Cid. Dans le premier acte, il répond à la confidence de l’affront qu’a reçu son père par le plus beau frémissement d’indignation ; il dit très bien les fameuses stances qui sont, comme on sait, fort difficiles à nuancer. Quant au grand récit de sa victoire, il y met de l’élan, de l’intelligence, de la chaleur ; seulement il le détaille un peu trop. Malgré ces belles parties du rôle, qui ont été justement applaudies, l’ensemble de la physionomie que Beauvallet donne au personnage et qui se reflète sur toute la pièce, ne nous paraît pas tout-à-fait satisfaisant. À l’idée romanesque, il est vrai, et nullement conforme à l’histoire, que chacun de nous s’est formée du Cid depuis l’enfance, Beauvallet a substitué un type qui a la prétention d’être historique et le malheur d’être trop dépourvu de tout ce qu’on appelle, à tort ou à raison, la grace chevaleresque ; type grêle et anguleux, qui semble plutôt calqué sur des mignatures du XIVe siècle qu’emprunté aux monumens, d’ailleurs assez rares, du XIe siècle. Mais, sans chicaner la Comédie-Française sur le plus ou moins de fidélité de ses décorations et de ses costumes, je crois que la pensée seule de substituer dans la représentation du Cid l’image de la chevalerie réelle à celle de la chevalerie de fantaisie, à laquelle nous sommes habitués dans cet ouvrage, je crois, dis-je, que cette pensée, qui atteste, d’ailleurs, du zèle et des études, manque tout-à-fait, dans la circonstance, d’à-propos et de justesse. Le Cid de Corneille n’est point un drame historique ; il a été composé dans un sentiment purement romanesque : Corneille a pris sa fable dans une pièce de Guillem de Castro (dont nous ne nous occuperons pas ici, parce que tout le monde a lu cette comédie fameuse dans la traduction des théâtres étrangers) ; il s’est encore inspiré de quelques-unes des innombrables romances espagnoles qui célèbrent les exploits demi-fabuleux de Ruy Diaz de Bivar et Cid Campeador, ou mio Cid (mon Cid), comme on disait le plus souvent, témoin ce vers barbare :

Ipse Rodericus mio Cid semper vocatus.

Corneille s’est bien gardé d’essayer d’éclaircir les ténèbres de la vie de ce condottiere fameux qui, cantonné dans son nid d’aigle, appelé encore aujourd’hui la Roche du Cid, prit peut-être autant de villes au profit des émirs arabes qu’au profit des rois de Castille. Il y a plus, Corneille a ajouté, sciemment ou non, ses propres erreurs à celles dont fourmillent les romances. Il place, par exemple, la scène de sa pièce et la capitale du roi de Castille, don Fernand Ier, à Séville :