Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/468

Cette page a été validée par deux contributeurs.
464
REVUE DES DEUX MONDES.

au théâtre d’éteindre un peu l’expression de ce vers, sors vainqueur… Larive, dans l’étude estimable qu’il a faite de plusieurs parties du rôle de Chimène, recommande de corriger ici la force de l’expression, au lieu de l’exalter, précaution, ajoute-t-il, dont le vers suivant démontre la nécessité,

Adieu ; ce mot lâché me fait rougir de honte.

Je suis, pour mon compte, d’un avis tout opposé. Il n’y a sans doute ici aucun besoin d’exaltation ; mais il n’y a rien non plus à corriger ni à affaiblir. Si la jeune Castillane ne croyait pas avoir un peu péché contre les bienséances, elle n’aurait pas lieu de rougir et de se retirer précipitamment, après le mot lâché. Aussi, malgré l’autorité de Larive, dont je reconnais toute la valeur, Mlle Rachel fera bien de ne rien affaiblir. Ce vers n’est le plus beau de toute la pièce que parce qu’il montre le plus à nu l’ame de l’amante.

Au reste, quelques réflexions que la critique hasarde sur les sentimens de Chimène, quelques efforts que l’actrice qui joue ce rôle fasse pour montrer tour à tour, et tout à la fois, la fille du comte de Gormas et la maîtresse de Rodrigue, la critique et la tragédienne trouveront toujours autant d’opposans que d’approbateurs. Chimène est une création si naturelle, si vivante ; sa position est si délicate, ses sentimens si complexes, qu’on ne peut entreprendre de la représenter, ou seulement de parler d’elle, sans être aussitôt accusé d’avoir méconnu une de ses beautés ou grossi un de ses défauts, qui sont encore des beautés. À sa naissance, Paris et la France entière ont pris parti pour ou contre elle ; tous les casuistes du Parnasse l’ont attaquée, défendue, injuriée, disculpée. La controverse naît si naturellement à son sujet, qu’aujourd’hui même, à peine une actrice aimée du public lui a-t-elle rendu la vie, la polémique théâtrale, qui sommeillait depuis dix ans, s’est aussitôt réveillée : de toutes parts s’élèvent et se croisent des avis, des critiques, des jugemens pour et contre. Que Mlle Rachel ne s’émeuve point de ces contradictions qui surgissent. Toute actrice digne de ce beau rôle doit y être passionnément applaudie et passionnément critiquée ; c’est la destinée de Chimène.

Beauvallet, dont on ne peut trop encourager le zèle et les progrès, a mis, dans le rôle de Rodrigue, beaucoup d’intelligence, d’énergie et de nouveauté. C’est une idée heureuse, et qu’il a bien indiquée, que de nous présenter d’abord Rodrigue adolescent, dans toute la