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LA REPRISE DU CID.

colique qui termine la scène, et qui ne le cède pas au fameux dialogue, sous le balcon, de Roméo et Juliette :

........Ô comble de misères ! —
— Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères !
— Chimène, qui l’eût dit ? — .......
.................
Si j’en obtiens l’effet, je t’engage ma foi
De ne respirer pas un moment après toi.
Adieu, sors, et surtout garde bien qu’on te voie.

Dans tout ce finale, d’une grace et d’une tendresse incomparables, Mlle Rachel n’a rien laissé à désirer aux plus difficiles, même dès la première représentation. C’était bien là Chimène ; c’était bien l’amante de Rodrigue, séparée de son amant dans ce monde, mais fiancée à lui pour l’éternité. Ô vieux Corneille ! comme peintre de l’amour idéal, tu n’as rien à envier, même à Racine, ton jeune et tendre rival !

Dans la seconde entrevue de Rodrigue et de Chimène, dans cette scène toute pleine d’amour, qui, lors de la nouveauté, a fait crier si haut et si sottement à l’immoralité et au scandale, dans cet entretien que l’Académie française déclare, dans ses Sentimens sur le Cid, « ruineux pour l’honneur de Chimène, » et qui est, non pas comme dit encore l’Académie, « ce qu’il y a de plus blâmable dans toute la pièce, » mais ce qu’il y a, sans contredit, de plus pathétique et de plus touchant, Mlle Rachel s’est montrée digne de la situation et du poète. Effrayée du découragement de Rodrigue, craignant de devenir, par le refus qu’il fait de se défendre, la conquête de don Sanche, fatiguée de toujours feindre, Chimène laisse enfin parler son cœur avec une clarté qui électrise son amant et produit le cri fameux : Paraissez, Navarrois !… Dans cet admirable couplet, où toute son ame se manifeste, et où se répand sa pensée la plus secrète :

Te dirai-je encor plus ? Va, songe à ta défense,
Pour forcer mon devoir, pour m’imposer silence ;
Et si jamais l’amour échauffa tes esprits,
Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix…
Adieu ; ce mot lâché me fait rougir de honte…

dans cette brûlante tirade, et particulièrement dans le vers qui la couronne, le plus beau vers de la pièce, suivant Voltaire, Mlle Rachel a su rencontrer l’accent parfait de l’amour à la fois le plus confiant et le plus pudique. Je n’ignore pas qu’il est de tradition