Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/454

Cette page a été validée par deux contributeurs.
450
REVUE DES DEUX MONDES.

venir les potentats, promettre de l’argent, intimider, corrompre, spolier le peuple, semer les dissensions, s’engager dans les intrigues, se souiller de lubricités, et joindre aux actes impurs les paroles impures. J’ai vu tous ces malheurs et mille autres. J’ai versé des larmes amères. » Des esprits élevés et lumineux apercevaient le mal : Pétrarque, Dante, Gerson, saint Bernard. Des ames plus rudes et des esprits moins souples entreprirent de le détruire : Luther, Hutten, Knox, Calvin, Camerarius, Zwingle. Ils tenaient des populations mêmes au milieu desquelles ils avaient vécu cette diversité fondamentale. Ils marchèrent pour abattre ce que les autres condamnaient. Voilà la réforme.

Aussi les accusations historiques contre la papauté, auxquelles l’église anglicane consacre maintenant une bibliothèque entière, quoique les faits curieux n’y manquent pas, ne feront point autorité. Il ne suffit pas de louer l’oblique et timide Érasme, l’obscène Hutten, Reuchlin, Sickingen, Mélanchton, Cronberg et tous les autres. Il faudrait reconnaître en eux les instrumens passagers d’une haine nationale, fruit du temps et des contrastes, exagérée, insatiable, souvent injuste, et qui n’a plus de sens aujourd’hui ; il faudrait faire la part et des vices humains chez les catholiques et du mouvement général de la civilisation, qui se développe par les révolutions et les crises. Il faudrait enfin avouer que l’œuvre de Luther est aujourd’hui terminée, et que, dans les esprits mêmes de ces nations protestantes qui ont suivi la marche du réformateur, « il se trouve, comme dit M. Newmann d’Oxford, une sourde et secrète ardeur, un élan aveugle vers un monde inconnu qui n’est pas le protestantisme. »

Tous les centres de croyance, même les plus antiques et les plus énergiques, se dissolvent. En Écosse, le kirk (church), l’église nationale, cette fille de Knox, redoutable long-temps par son énergique unité, est aujourd’hui sur le point de se briser sous le schisme. On en appelle à Robert Peel, fort embarrassé de porter la lumière et de faire sentir son autorité au milieu de ces querelles théologiques. De bruyantes assemblées sont tenues à Édimbourg ; des motions violentes y retentissent ; l’anathème vole de toutes parts. Les fidèles effrayés se détachent d’une communion qui n’est plus qu’une guerre civile. Les chefs du kirk, acharnés et entêtés comme leurs pères, menacent de rompre en visière au gouvernement, de s’enrôler dans le parti whig, d’aller jusqu’au radicalisme, de former un groupe séparé, d’être seceders, si le ministère ne les aide pas à foudroyer les rebelles. Ces derniers, les ministres d’un petit canton nommé