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respect ce ministère redouté même des esprits angéliques. On assume le symbole du saint royaume, on porte la couronne de l’empire céleste, et cependant chez ces audacieux l’avarice règne, l’ambition domine, l’orgueil possède un trône, l’iniquité réside, la luxure commande[1]… »

Voilà les anathèmes qui précédèrent la réforme de deux siècles, et que répétèrent à l’envi les moralistes et les prédicateurs. Dante n’avait-il pas jeté le pontife dans son enfer ? Pétrarque, couronné à Rome, l’avait-il ménagé ?

Fontana di dolore, albergo d’ira,
Scola d’errori e tempio d’eresia ;
Gia Roma ; hor Babylonia falsa e ria
Per cui tanto piange e si sospira ;
O fucina d’inganni, o prigion d’ira
Ove in buon muore ed i mal si nutre e cria,
De vivi inferno, un gran miracol sia
Se Christo teco al fine non s’adira !

« Source de douleur, asile de colère, école d’erreurs, sanctuaire d’hérésie, Rome ! Jadis Rome, aujourd’hui menteuse et criminelle Babylone, mère de tant de soupirs et de larmes ! foyer de déception, prison de colère, où les bons périssent, où les mauvais naissent et prospèrent ! Enfer des vivans ! Ce serait grand miracle, si Christ ne s’irritait enfin contre toi ! »

Luther, naïf et violent comme son pays, a brutalement redit ce que mille autres avaient exprimé en vers et en prose, la décadence de la moralité romaine. Il n’a point accompli une découverte nouvelle. En sa qualité d’Allemand, ce moine fervent et simple, plus vivement blessé que Bembo et Sadolet des débris de paganisme mêlés encore aux mœurs pontificales, a éclaté contre des abominations qui lui semblaient nouvelles, qui dataient de loin, et qui d’ailleurs avaient assez duré pour que la révolution et le châtiment fussent voisins. Luther, homme de génie, s’aperçut que le moment était venu. « Le monde, dit-il quelque part, est un grand jeu de cartes composé d’empereurs et de princes. Voici quelques siècles que le pape gagne toutes les parties ; c’est à son tour de perdre. Dieu bat les cartes, et, prenant dans le paquet la plus humble de ces cartes, le moine Luther, il s’en sert comme d’un à-tout pour battre le pape, conquérant des rois. Luther, c’est l’à-tout de Dieu. » Il avait raison. Dégagez le sens

  1. De Conversione ad Clericos, § 20.