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sonne n’a vu la vie anglaise sous des faces plus variées et plus bizarres. Fils de ses œuvres, sa mémoire doit être une encyclopédie de secrets et de souvenirs hétéroclites. La pairie et la roture, les altesses et les usuriers, lui ont serré la main. Toutes les vengeances secrètes, toutes les haines, toutes les rancunes, se sont donné rendez-vous dans son cabinet. Mais sa vie, ce serait sa vie qu’il faudrait lire, écrite par lui-même.

Vers 1800, une jolie veuve, brune et vive, petite et fraîche, maîtresse de la taverne des Armes du Roi, à Kensington, près de Londres, attirait les chalands par sa gaieté et sa bonne humeur plus encore que par l’excellence de son porter et de son ale. Que d’admirateurs se pressaient autour de Suzanne Molloy ! Dick Westmacott, sculpteur célèbre, brillait au premier rang de ses habitués. La chronique scandaleuse n’attribue pas d’autres parens à Charles Molloy Westmacott, aujourd’hui l’un des plus redoutés et des plus redoutables entre les chefs de la publicité britannique. Dick Westmacott fit élever le jeune homme, lui donna les principes des arts, et mourut, laissant un fils légitime, Richard Westmacott, sculpteur, aujourd’hui vivant, et Charles Molloy, notre journaliste, portant dans ses armes la bande sénestre, et dans son escarcelle le néant. La société anglaise offre bien moins de ressources à l’esprit d’aventures que notre société bouleversée, qui, elle-même, n’est qu’une grande et perpétuelle aventure. Il faut du génie à un Gil Blas anglais. Peintre, sculpteur, décorateur, musicien, auteur, acteur, rédacteur et directeur de journaux, Westmacott est peut-être le seul Anglais qui puisse se vanter aujourd’hui d’avoir écrit une comédie, peint les décorations et joué un rôle dans la même pièce. Fatigué de cette vie d’expériences et d’instabilité, il prit un poste important et périlleux. Le torysme, débordé de toutes parts et menacé de destruction par le radicalisme, avait besoin d’un éclaireur hardi ; Westmacott était en position de tout oser ; il osa. Antagoniste violent et souvent injuste de Bulwer et de toute la presse whig, il soutient avec une âpreté et une audace extrêmes la position adoptée par lui. Oublié et négligé par ceux qu’il a défendus, il publiera, dit-on, bientôt ses mémoires, et les révélations piquantes n’y manqueront pas.

The Age (le Siècle, ou plutôt l’Époque), fondé et dirigé par Westmacott, a défendu long-temps la cause du torysme avec un acharnement qui nous étonnerait, tout habitués que nous soyons aux cris monotones de la politique quotidienne. Le pouvoir, non celui qui règne et passe, mais le principe même du pouvoir ; l’autorité, non pas