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LITTÉRATURE ANGLAISE.

Son père, dont la Femme jalouse, imitée par Desforges, conserve encore droit de bourgeoisie sur la scène française, et dont le Mariage secret, adopté par Cimarosa, est devenu un thème commun et populaire, avait beaucoup plus de talent que son fils. Esprit froid, sans profondeur et sans élévation, mais non sans ressources, il possédait cette invention des situations et cette facilité habile de mise en œuvre, assez commune en France, mais rare en Angleterre. En somme, de ces deux volumes publiés par M. Peake, on pourrait extraire un demi-volume, qui éclairerait d’une lumière piquante et originale les ministères de Bath, Walpole et Pitt, et le règne théâtral de Goldsmith, Sheridan et Cumberland.

La fureur biographique de nos voisins ne s’est pas amortie. Quelques bons ouvrages, tels que la Vie de Frédéric-le-Grand, par lord Dover, et celle de Clive, par Malcolm, se détachent et s’isolent sur un fond de diffusion, de trivialités, de correspondances brutalement et littéralement reproduites, surtout de panégyriques emphatiques et menteurs. Un homme de talent, écrivain périodique très peu connu en France, Gleig, ministre de l’église anglicane, tory violent et attaché depuis long-temps au Fraser’s Magazine, n’a pas évité ce défaut ; sa Vie de Warren Hastings est un ouvrage manqué. On ne peut trop s’étonner de trouver sous la plume d’un ecclésiastique l’apologie perpétuelle des omissions et des transgressions imputables à son héros et condamnées par le Décalogue. Autant valait, comme dit Shakspeare, blanchir un Éthiopien et laver un Maure.

Grand esprit, homme d’action et de caractère, souvent bienfaisant et même généreux, mais allant au succès avant tout et par tous les chemins, Warren Hastings a commis plus d’une action mauvaise ; il n’a point commis de fautes politiques. Il a mérité le succès par sa ruse, sa fraude, sa violence, sa persévérance. Avec des qualités plus douces et une moralité plus réelle, aurait-il réussi ? Non, certes. Les moyens du succès humain ne sont pas le dévouement et l’abnégation. Pour accomplir la tâche que s’était imposée M. Gleig, et tracer l’histoire de cette vie guerrière, rusée, aventureuse, qui a valu à l’Angleterre un immense empire, il fallait aborder franchement la question ; il fallait dire : La morale est le courage de se dévouer, la politique est l’audace de réussir ; l’une est dévouement, l’autre est égoïsme. Warren Hastings a choisi le succès.

Salut au plus aimable, au plus innocent, au plus bavard, au plus égoïste et au moins fatigant des raconteurs, à l’excellent Samuel Pepys, secrétaire de l’amirauté sous les règnes de Charles II et Jac-