Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/441

Cette page a été validée par deux contributeurs.
437
LITTÉRATURE ANGLAISE.

des coulisses, aussi spirituelle et aussi jolie que Mlle de Lenclos ; mêlant à ses saillies un grain de joviale effronterie qui rappelait son premier métier de marchande d’oranges ; hardie, avenante, agaçante, d’un sang-froid et d’un à-propos incomparables ! La moindre anecdote de sa vie résume tout le mouvement de son siècle. Un jour, par exemple, que son carrosse traversait Londres, le peuple, croyant reconnaître l’équipage de la duchesse de Portsmouth, maîtresse du roi et catholique, poursuivit et assaillit à coups de pierre la pauvre Nell, qui entendait retentir à ses oreilles les mots : « À bas la courtisane catholique ! » Nell fit arrêter sa voiture, et passant sa jolie tête à la portière : « Mes bons amis, dit-elle, vous vous trompez, je suis la courtisane protestante ! » Nous adoucissons la crudité des paroles. — Elle fut reconduite en triomphe. Ce trait vaut tous ceux du cardinal de Retz.

À défaut des mémoires de la spirituelle et audacieuse Nelly, nous avons les lettres de Garrick, de miss Bellamy, de miss Kemble et les papiers posthumes de toute une famille, nourrie dans le trou du souffleur, élevée à la clarté de la rampe, bercée au milieu des forêts de carton qui composent l’univers théâtral, celle des Colmans, alliés à la famille de lord Bath et parens de lord Pulteney. La dynastie colmanique se compose de trois générations, représentées, la première par un Colman pauvre, joyeux, élégant, aimable, ambassadeur à Florence, amateur de tableaux et de curiosités ; la seconde, par son fils, l’auteur de la Femme jalouse et du Mariage secret, créateur, directeur et propriétaire du Haymarket ; la troisième, par ce Colman jeune, mort récemment, auteur de vingt farces immorales et amusantes, débauché dans sa jeunesse, censeur dramatique sur ses vieux jours, et aussi rigide pour les autres qu’il avait été indulgent pour lui-même. Sa sévérité n’était point mêlée d’hypocrisie. Il faisait son métier, disait-il, sans le respecter et sans y croire. Comme les fonctions de censeur (examiner of plays) rapportent en Angleterre à celui qui les exerce, non des appointemens fixes, mais un gain proportionnel au nombre des œuvres censurées, Colman s’attachait avec un acharnement extraordinaire à ne laisser passer aucun manuscrit, pas une chanson, pas un couplet, pas un changement dans le dialogue, sans y apposer sa griffe et sans prélever son droit. Écrivant d’une main des odes obscènes, et d’une autre biffant les plus innocentes plaisanteries des auteurs dramatiques, exigeant de celui-ci un schelling pour une strophe remise à neuf, et de cet autre une guinée pour l’indécence d’une situation corrigée, lui-même, imperturbable