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LITTÉRATURE ANGLAISE.

monde. Les philosophes ont-ils accordé à ce fait une attention assez réelle ? Ou plutôt y a-t-il encore des philosophes ? On pourrait en douter, à voir ce qui se passe. L’époque où l’on imprime le plus est celle où l’on réfléchit le moins ; la pensée succombe sous l’improvisation typographique.

Bulwer se tait. Marryat inonde le marché de son style facile et de ses inventions vulgaires. Théodore Hook est mort. Campbell n’écrit plus. Thomas Moore réimprime ses œuvres. Southey corrige les siennes. Les grands noms qui brillaient en 1820 reculent et disparaissent ; le passé s’efface, et l’avenir n’offre que des espérances. Les procédés matériels de vente et de débit achèvent de tuer l’intelligence en Angleterre comme en France. Nos voisins se sont mis, comme nous, à fabriquer la toile littéraire et à la détailler à bon marché, périodiquement, régulièrement, comme on livre de la marchandise à jour fixe. Marryat et Ainsworth se sont placés à la tête de ces fournitures intellectuelles. Ils ne méditent plus un roman, ils l’improvisent, et l’improvisent en le découpant ; ces fragmens de fictions hebdomadaires, que l’économie du public accepte et que favorise la paresse de l’écrivain, sont mortelles à l’art. Le décousu, les disjecta membra poetarum, l’incurie née de la rapidité et du besoin de produire, remplacent les anciennes lois de la composition, la cohésion des parties, l’unité et le fini. L’auteur ne pense plus qu’au numéro actuel de son roman et aux vingt guinées qu’il rapporte ; les pages qui précèdent et celles qui suivent ne le préoccupent nullement. Chaque numéro successif est un tour de force, un escamotage et un appât. Vous avez beau faire : vous cherchez l’effet théâtral, vous suspendez violemment l’attention du lecteur, vous quittez le vrai pour l’étonnant, et le naïf pour l’imprévu ; vous laissez tomber la toile au moment où l’émotion est irritée, où le héros va périr, où l’héroïne s’attendrit, où le cœur du lecteur tressaille. Prestidigitation misérable. Comment écrirait-on sans suite, sans révision, sans conscience, je ne dis pas des chefs-d’œuvre, mais des choses intéressantes ou raisonnables ? Harrison Ainsworth, auteur de Crichton, de la Tour de Londres, de Turpin et de Jack Sheppard, ne prend pas même la peine de relire son numéro précédent. Dans la Tour de Londres (No VIII, § 18), le héros, que nous trouvions tout à l’heure à la nage et presque mort, reparaît vivant et joyeux (No x, § 20), sans que l’on sache comment il s’est sauvé, pourquoi il vit, ni ce qu’il vient faire, en sortant de la Tour de Londres et de la Tamise, chez la reine Élisabeth. On citerait mille exemples d’inconséquences pareilles, d’étourderies, d’omis-