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magne essaie la popularisation de l’économie politique. Il paraît à Londres des drames symboliques, à Stuttgard des imitations de Bulwer. Carlyle continue son essai de greffe germanique ; les revues de Berlin et de Leipzig voudraient bien lutter de vigueur et de précision avec les revues d’Édimbourg et de Londres. Ce mélange inévitable et universel n’est qu’un effacement énorme et une abolition presque définitive des supériorités. Il semble que le génie littéraire et la beauté ou la force du style se soumettent d’eux-mêmes au niveau démocratique, et que l’état intellectuel de l’Amérique septentrionale nous menace tous. Quand on a cité Carlyle et Bulwer en Angleterre, Tieck et Schelling en Allemagne, Pellico et Manzoni en Italie, que reste-t-il ? Parmi ces noms mêmes, plusieurs sont reflet et écho ; la qualité intime du génie, l’originalité s’en va. Une vacillante et légère flamme erre à la cime de la littérature européenne, comme cette dernière lueur qui serpente encore et cherche à se ranimer faiblement au sommet du bûcher qui va s’éteindre.

Si peu d’idées et une consommation de mots si effroyable, l’art oublié et l’intempérance d’écrire et d’imprimer parvenue à son dernier terme, l’imprimerie elle-même compromise dans son intérêt industriel par le nombre des produits inutiles, les bibliothèques nouvelles ployant sous autant de livres que les bibliothèques anciennes ; dans cet océan de phrases, l’originalité perdue, toute opinion ébranlée ou détruite ; enfin une dissolution universelle des intelligences errantes ou détendues : qui pourrait nier cette situation ? L’Angleterre a résisté ; mais elle est atteinte du mal général. Si l’on s’aperçoit un peu moins de son marasme, c’est grace à son admirable position insulaire, qui lui permet de jeter des anecdotes nouvelles dans de mauvais volumes, des faits curieux dans un style riche, et un intérêt d’hier dans le voyage frivole publié aujourd’hui.

Ce n’est pas qu’il n’y ait quelques curiosités dans ce néant. On peut recueillir des détails nouveaux dans plusieurs narrations consacrées au Japon, à la Corée, au Thibet, à l’Afghanistan, aux îles Ioniennes, à la Sibérie. Nous citerons, parmi les voyages récemment publiés, celui de Kennedy au Texas, non comme renfermant d’incontestables vérités, mais comme curieux et piquant. Le monde civilisé, vaste ruche de verre, dont tous les mouvemens se trahissent à l’œil nu, a vu avec surprise une nouvelle société naître dans le Texas et s’élever, comme toutes les sociétés, par l’énergie, la persévérance et l’injustice. La race forte a chassé devant elle la race faible, et la vigueur de l’esprit et du corps ont tout écrasé. C’est l’histoire du