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nastères albanais sont dirigés par des ecclésiastiques venus de l’Autriche seule, qui tient par là même l’Albanie catholique sous sa main. En Bosnie, où les agens secrets russes, anglais, autrichiens, se croisent sans cesse, le nom de la France est inconnu. Les consulats français de Janina et de Prevesa sont-ils suffisans pour observer cette longue côte, foyer toujours ardent de guerre civile, qui s’étend de Raguse à Patras ?

En général, toute la politique de la France à l’égard de l’Europe orientale a été jusqu’ici singulièrement indécise, pour ne pas dire nulle. On craint de favoriser la Russie, en suivant la ligne où elle feint de marcher, et on se met à la remorque de l’Angleterre. Des écrivains essaient même de prouver qu’il faut autant que possible refouler l’essor des Slaves et des Grecs, sous prétexte qu’ils sont amis des Russes. Sans doute, tous les membres de cette famille se tiennent ; on n’empêchera jamais le Grec ou le Slave d’avoir du penchant pour le Moscovite, comme les Italiens, les Espagnols, les Belges, ont du penchant pour la France. Cette sympathie naît d’une civilisation et de croyances communes, et du vague souvenir d’une primitive alliance de races. Mais il en sera pour la chrétienté orientale comme pour les peuples latins, qui ont chacun des intérêts à part et très souvent opposés, tout en appartenant au même empire moral, au même ensemble d’opinions et d’idées. Il ne faut, pour atteindre ce résultat, qu’aider généreusement les nationalités, encore si frêles, de l’Orient chrétien à grandir libres en face de la Russie. Les Gréco-Slaves du sud sont le principal levier à faire mouvoir pour raffermir l’équilibre européen. Placés entre l’est et l’ouest, appartenant à l’Orient par les mœurs, à l’Europe par l’intelligence, ils semblent destinés, grace à ce privilége de double nature, à remplir, comme les anciens Grecs, un rôle de médiateur entre les deux hémisphères. Leur vœu est de se développer dans cette voie, en s’appuyant sur les secours et les lumières de l’Occident, en subissant son influence, non son joug. Ce vœu doit être compris de la France, qui n’a qu’un moyen de soustraire l’Europe orientale à l’influence anglaise et à la protection des tzars : c’est d’y subdiviser la puissance ainsi qu’elle est subdivisée en Occident, d’y relever les nations opprimées, d’y organiser enfin des souverainetés nouvelles, de nouveaux intérêts, qui puissent contrebalancer puissamment les intérêts de l’Angleterre et de la Russie.


Cyprien Robert.