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relles, l’empire ottoman arriverait bientôt à la hauteur des autres puissances pour l’industrie. Eux et les Arméniens suffiraient pour l’exercer, et masquer l’apathie de la nation dominante. Combien alors cet état serait puissant, vu la quantité de numéraire qu’il enlèverait à ses voisins ! » Mais la vieille erreur des conquérans, qui croient s’enrichir en sacrifiant l’indigène vaincu à l’étranger, subsistait encore dans la tête du novateur Reschid, et c’est ce qui le détermina sans doute, durant toute l’année 1840, à refuser si durement à l’ambassadeur de l’Hellade, Zographos, les droits que la Porte accordait à tout le reste de l’Europe : les Grecs étant d’anciens rayas, il crut devoir les traiter comme tels. Ce système règne toujours : les produits de l’industrie des rayas paient encore, pour entrer dans Stamboul, des droits plus grands que ceux de l’industrie étrangère. Quel résultat a eu cette absurde méthode ? Les rayas, dépouillés de leurs derniers moyens de production, n’ont pu continuer à payer leurs impôts, et, dans l’alternative de mourir par la faim ou par le sabre, ils ont saisi le glaive vengeur. Telle a été, en grande partie, la conséquence de la conquête des bazars gréco-slaves par les fabricans anglais ; cette invasion de l’industrie anglaise a mis la Turquie en feu. Il aurait dû en être de ce traité comme du hatti-schérif. En supposant que l’un et l’autre fussent nécessaires pour calmer l’égoïsme franc, et satisfaire l’opinion libérale européenne, on pouvait les proclamer, mais sans prétendre y soumettre par la force les provinces et les communes qui, en vertu de leurs anciennes franchises, refuseraient de les accepter.

Le fléau des calicots anglais n’est pas le seul qu’ait introduit cette liberté commerciale. L’importation et le débit des poteries, quincailleries et modes allemandes, ont l’inconvénient mortel, dans un pays tellement dénué de numéraire, de ne se faire que par argent comptant. Aussi, dans toute la Turquie slave, la monnaie courante est-elle forcément l’argent autrichien. L’Autriche exploite complètement les rives du Danube, tant moldo-valaques que serbes et bulgares ; ses commerçans, qui ne sont au fond que des marchands de pacotille, nommés lipsikani, parce qu’ils s’approvisionnent à Leipsig, n’emportent des pays slaves que de l’argent sans marchandises, et les appauvrissent ainsi doublement.

Il n’est qu’un moyen pour l’empire d’échapper à la dissolution qu’un pareil état de choses rend inévitable : c’est de modifier en même temps et le traité de commerce conclu avec l’Europe, et le fatal hatti-schérif ; c’est d’opposer au premier un système d’octroi