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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

obéiront de plein gré, et sans force majeure, à un chrétien. Le raya, de son côté, en fera tout autant ; il n’y a point de fusion à attendre, et les deux sociétés politiques et religieuses qui se partagent l’Orient ne se réconcilieront qu’après que leur indépendance administrative aura été proclamée par le divan.

Si des nécessités politiques on tourne les yeux vers les intérêts matériels, on reconnaîtra qu’ils n’ont pas été mieux compris par ceux que l’on regarde aujourd’hui comme les réformateurs de l’Orient. On n’ignore pas dans quel lamentable état se trouve l’industrie gréco-slave, et combien l’absence de numéraire rend les spéculations difficiles aux indigènes. On sait que le crédit est tombé au point que le taux moyen de l’emprunt est de 20 à 25 pour 100. Or, c’est devant une pareille ruine de la fortune publique, que le divan a conclu son fameux traité de commerce avec l’Angleterre, la France et l’Autriche, traité qui porte le dernier coup à l’industrie indigène, en déclarant absolument libre, sous la condition d’un droit d’entrée de 3 pour 100, toute importation étrangère. L’Angleterre s’est vantée d’abolir par là tous les monopoles, et de procurer même aux rayas une plus grande liberté de fabrication et de trafic ; mais il est évident que pour fabriquer, il faut pouvoir vendre au prix courant. Or, les marchandises anglaises, qui encombrent, par suite de ce traité, les bazars de l’empire, ayant fait énormément baisser les prix, il a été impossible aux manufactures indigènes de continuer à produire. Quantité de maisons arméniennes et grecques se sont trouvées ruinées, comme l’avaient déjà été les Thessaliens d’Ambelakia par la concurrence des filatures anglaises. Ce traité, si odieux à Méhémet-Ali, et qui, dans la pensée de Reschid-Pacha, devait régénérer le commerce de l’Orient, a donc produit sur les intérêts matériels le même effet que le hatti-schérif de Gulhané sur l’ordre social. Il y a des réformateurs malheureux qui, avec le plus noble cœur, échouent dans tout ce qu’ils tentent.

On objecte qu’un tarif de douanes trop en faveur des fabriques indigènes aurait développé outre mesure la contrebande, que la configuration du pays turc et les droits des communes préservaient de toute répression. On aurait pu néanmoins garder un certain milieu. D’ailleurs, ce n’est pas d’aujourd’hui que les Turcs, à l’entrée de leurs villes, font payer aux régnicoles trois fois plus qu’aux marchands étrangers. Ils avaient cru s’enrichir par là aux dépens des rayas, et cependant Pertuisier remarquait déjà, il y a trente ans, que, « si les Grecs pouvaient donner un libre essor à leurs dispositions natu-