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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

qui accompagnent cette pantomime, retracent presque toujours un évènement récent qui intéresse toute la province ; cette chanson accompagne constamment la danse faite pour elle, et l’une ne tombe jamais sans l’autre en désuétude. Le plus remarquable débris des antiques théories helléniques est la romaika, dont la simple voix ou le son du théorbe règlent les mouvemens cadencés. Homère décrit en vers magnifiques cette danse, qu’il place parmi les sujets sculptés sur le bouclier d’Achille. Les figures de la romaika rappellent encore, comme jadis, les détours du labyrinthe, où le fil d’Ariane dirigeait Thésée contre le monstre. Le trouble de l’amante de Thésée revit entièrement dans l’éloquente pantomime de la jeune coryphée, qui dirige, en agitant un mouchoir blanc, la longue chaîne de ses compagnes, se porte en avant, en arrière, s’élance, puis reploie en spirale cette belle guirlande dont elle est la tête et la fleur. Les Slaves ont modifié, sous le nom de kolo, cette antique danse athénienne. Ils ont de même emprunté leur musique aux peuples grecs, et la gousla paraît être le seul instrument d’origine vraiment slave. Cette grossière guitare est de bois dur taillé en forme de demi-poire et garni en cuivre, avec un long cou à tête de cygne ou de bélier. Sept ou dix cordes en crin de cheval, étendues sur un tympan de fine peau, et qu’on touche avec les doigts, complètent l’instrument. À défaut de la flûte d’Albanie, la gousla dirige les danses, qui, tantôt douces et fraîches églogues, tantôt turbulentes tragédies, excitent l’étonnement d’un Européen. Si ces danses, ainsi altérées, exécutées dans leur simplicité rustique, sont pourtant d’une si profonde poésie, que deviendraient-elles, rehaussées ou transformées par l’art ? Et combien ne doit-on pas regretter qu’on n’ait pas encore songé à les réhabiliter ! Malheureusement les Gréco-Slaves civilisés, c’est-à-dire francisés, dédaignent ces jeux, transmis par la sainte et noble antiquité ; ils regrettent de ne pas connaître les danses de nos salons et rougissent d’eux-mêmes comme s’ils n’étaient que des barbares. C’est ainsi que le mépris des Francs pour des mœurs qu’ils ne comprennent point égare les libéraux d’Orient, et les porte à dépouiller leur pays de tout ce qui en constituait la poésie et la vitalité.

VII.

L’organisation sociale des Gréco-Slaves n’est pas moins digne d’attention que leurs mœurs. Le génie de ces peuples les appelle impérieu-