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faire ses courses, et sucer le sang des vivans, en leur ouvrant la veine dorsale. Quand un mort est soupçonné de quitter ainsi sa couche, on le déterre solennellement : s’il est en putréfaction, le pope se borne à l’asperger d’eau bénite ; s’il est rouge et sanglant, on l’exorcise, et, en l’inhumant de nouveau, on lui plonge un pieu dans la poitrine, pour qu’il ne bouge plus. Autrefois les Serbes criblaient de balles la tête du cadavre, puis brûlaient le corps. Ils ont aujourd’hui renoncé à ces vengeances, mais ils répètent encore que les corbeaux les plus affamés fuient loin de ce cadavre vivant, sans même oser le toucher du bout de leur bec. La Thessalie, l’Épire et les Vlakhi du Pinde connaissent une autre espèce de vampires dont parlait déjà l’antiquité : ce sont des hommes vivans en proie à une sorte de somnambulisme, qui, saisis par la soif du carnage, sortent la nuit de leurs huttes de bergers, et courent la campagne, déchirant de leurs morsures tout ce qu’ils rencontrent, hommes ou bestiaux. Ces voukodlaks, avides surtout du sang frais des jeunes filles, s’accouplent, dit le peuple, avec la viechtitsa, gnome femelle, fantôme aux ailes de feu, qui descend la nuit sur le sein des braves endormis, les étreint dans ses embrassemens, et leur communique sa rage ; quelquefois aussi, changée en hyène, la viechtitsa emporte aux bois les petits enfans.

Toutes ces terreurs d’hiver se dissipent peu à peu devant le sourire du printemps. La résurrection de Lazare devient, dans les chansons des paysans, le symbole de cette renaissance de la nature. Le lendemain du dimanche des Rameaux, les jeunes filles, au lever du soleil, rassemblées avec leurs amphores autour de la tchesma (fontaine), chantent l’eau délivrée de la glace, le ruisseau troublé, auquel l’œil ardent du cerf, image du soleil, rend, en s’y mirant, la limpidité. Puis, quand vient le soir, assises à la porte de la chaumière paternelle, elles répètent : « Ô saint George, ta fête est prochaine ; mais en revenant m’amène-t-elle un époux ? Oh ! puisse-t-elle ne plus me trouver chez ma mère ! Puissé-je être morte ou fiancée ! » La veille de la Saint-George arrive. Alors les femmes mariées s’en vont cueillir des herbes printanières, surtout celles qui entrent dans la composition des philtres d’amour ; elles jettent ces plantes dans l’eau puisée sous la roue du moulin, emblème de la roue de la fortune, et le lendemain à l’aurore elles se lavent avec cette eau, espérant rajeunir comme la nature, dont elles aspirent ainsi les sucs mystérieux ; ensuite elles s’attachent derrière l’oreille ou se mettent à la ceinture des bouquets de fleurs nouvelles, et s’en vont à l’église.