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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

les haines héréditaires ne tardent pas à se jurer de nouveau sur la tombe des aïeux. Le lundi ou le mardi après Pâques, on se rend au cimetière ; chaque famille porte une tablette généalogique, transmise d’âge en âge, où sont écrits les noms de ses morts, et qui ressemble assez aux dyptiques des anciennes catacombes latines et grecques. On allume sur les tombeaux des bougies ou des lampes, et la journée se passe en prières funèbres pour les ames des défunts. Alors on songe aussi à leur mémoire terrestre ; on exalte ce qu’ils ont fait de bien, et, pour perpétuer leur noble sang, on cherche de dignes alliés ; les mariages se concluent, ainsi que les fraternités. Cette dernière institution, que les Gréco-Slaves ont seuls conservée en Europe, consiste dans une adoption solennelle, comme frère ou comme sœur, de la personne que l’on préfère. Pendant cette belle cérémonie, bénie par le prêtre comme un mariage, ceux qui s’aiment se tiennent par la main, et par-dessus la tombe de leurs pères se mettent mutuellement sur la tête une couronne de feuilles nouvelles ; puis ils se donnent le baiser d’union, qui les rend l’un pour l’autre pobratim, frères ou sœurs d’adoption, pootchim, pomaika, mères ou pères adoptifs. Ainsi liés, les frères et pères en Dieu sont tenus de s’entr’aider en toute occasion suivant leurs moyens, jusqu’à l’année suivante, où ces mêmes liens se renouvellent, à moins qu’on ne préfère les contracter avec d’autres personnes. Ces liens ne sont plus indissolubles comme il paraîtrait qu’ils l’étaient autrefois, mais ils ne sont pas moins sacrés, et le Serbe comme le Bulgare n’ont point de formule de serment plus solennelle que de jurer par leur frère adoptif. L’institution du pobratstvo (syn-adelphotis) a chez les klephtes un caractère encore plus chevaleresque : deux klephtes qui ont formé cette alliance sont unis à la vie et à la mort. Un klephte attaqué par les Turcs doit échapper avec son pobratim, ou succomber avec lui ; ils sont devenus solidaires et inséparables, comme Oreste et Pylade.

Chez les peuples pasteurs des montagnes, ainsi que chez ceux du nord, les mœurs se distinguent par leur rudesse. Les Slaves danubiens et les Moldo-Valaques ont souvent de sanglantes visions. Les populations de la Serbie, de la Hertsegovine, ont conservé plus d’une sombre légende d’ames condamnées, après la mort, à errer sur la terre pour expier leurs fautes, ou même à se renfermer dans le sépulcre, pour y faire vivre les voukodlaks ou vampires. Le voukodlak (littéralement loup-garou) dort dans sa tombe, les yeux ouverts, le regard fixe ; ses ongles et ses cheveux croissent, un sang chaud court dans ses veines. C’est aux nuits de pleine lune qu’il sort pour