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à l’église, ou plutôt dans l’enceinte qui l’environne. Là tout le peuple est réuni ; et quand, caché par les voiles qui dérobent le sanctuaire à tous les regards, le papas, au milieu de la liturgie, fait retentir les solennelles paroles Mir bojiy, Christos se rodi (paix de Dieu, le Christ est né) ! alors la population se sent électrisée, et tous répètent d’une voix de tonnerre : Vo istinou rodi (il est véritablement né !) Puis chaque voisin embrasse son voisin, l’ennemi cherche son ennemi pour lui donner, en l’embrassant, la paix de Dieu ; même les époux, s’ils se rencontrent, sont forcés d’échanger un baiser en public. De retour au foyer, la famille réunie s’embrasse encore, et, chacun tenant à la main une bougie allumée, on se met à table. Le chêne coupé pour faire cuire ce repas de l’aurore n’a pas été brûlé entièrement ; le premier visiteur qui se présente le matin est prié de frapper de son bâton sur cette bûche sacrée ; il le fait en disant : À vous autant de chevaux, de moutons, de vaches, que cette bûche a donné d’étincelles ! L’accent plus ou moins affectueux avec lequel il prononce cette bénédiction est un augure plus ou moins favorable pour la famille. Les tisons non consumés sont alors éteints et réservés pour être suspendus aux branches des jeunes arbres fruitiers, qu’ils feront prospérer.

La Pâques, en grec lampri (jour de lumière), commence de même à minuit, quand le pope du fond de la cella a crié : Christos anesti ou voskres (le Christ est ressuscité). À ces mots, tout le monde répond : Vo istinou voskres (vraiment ressuscité) ; et, comme à Noël, ce ne sont partout que fraternels embrassemens. L’anaphora (pain bénit) est partagé entre tous ; on s’invite pour manger l’agneau, que chaque famille, même la plus pauvre, n’a pas manqué d’immoler. Les villages et les montagnes retentissent de coups de carabine, et du cri : Vo istinou voskres. Les passans qui se rencontrent se présentent des œufs de Pâques et les choquent l’un contre d’autre ; l’œuf cassé appartient à celui qui le brise, et qui tire de cette circonstance un augure de longévité pour lui-même. Cet usage grec est passé jusqu’à Pétershourg, à travers tous les pays slaves. En Serbie et en Bulgarie, les réjouissances pascales ont ordinairement pour théâtre le foyer domestique ; car, à cette époque de l’année, la nature, engagée dans sa dernière lutte contre les vents du nord, est encore inhospitalière ; vers le sud, au contraire, les festins se célèbrent en plein air sous des tentes. Durant la sainte semaine, l’Albanais et le Monténégrin cessent de guerroyer ; c’est la trêve qu’avaient coutume d’observer chaque dimanche nos châtelains féodaux. Mais