sur son cœur. Introduit dans la salle d’honneur, qui sert en même temps de chambre à coucher, sans laisser, ainsi que doivent faire les Turcs, leurs souliers sur le seuil, il s’avance, en Franc libre, sur les beaux tapis rouges, et va se placer, en face du knèze ou chef, sur des coussins de velours.
L’habitant des villes n’exerce pas l’hospitalité avec moins d’empressement que le montagnard. Pour héberger le Franc, il vient souvent le chercher au hane[1], que l’on quitte sans regret, car tout ce que le voyageur peut se procurer au hane, c’est une chambre vide pour lui et une place à l’écurie pour son cheval. Il faut aller à la mehana[2] prendre ses repas ; et si c’est l’hiver, dans une chambre sans vitres, on n’a pour se préserver du froid qu’un mangal, plat de braises qu’il faut renouveler sans cesse. Content de quitter un tel gîte, vous suivez votre nouvel hôte, dont la famille regarde comme une fête votre entrée sous son toit. Ce jour-là une activité inaccoutumée règne dans cet intérieur d’ordinaire si monotone. Pour vous honorer, votre hôte invite tous ses voisins. Le chef de la maison, qui mange presque toujours à part, trop respecté de la famille pour qu’elle ose partager son repas, ce pontife du foyer descend cette fois jusqu’à la table commune. Le raki (eau-de-vie de prunes ou de cerises sauvages) circule d’abord, dans un gobelet grossier chez le pauvre Bulgare, mais, chez l’Albanais, le Grec, le Slave Macédonien, dans une belle et ancienne coupe souvent dorée, où ont bu les aïeux. Transmise aux convives par le père, qui la vide le premier, elle passe à la ronde. On mange au même plat, mais avec beaucoup plus de propreté qu’un Franc ne le croirait possible. Le dîner fini, les toasts commencent, car l’Oriental ne boit qu’avant et après ses repas, et rit de nous voir boire en mangeant. Si les libations se prolongent long-temps, c’est que le Grec et le Slave aiment la conversation, et que le vin l’anime. L’ancien de la famille se lève enfin de table, en disant : Nous nous sommes assis honnêtes, nous nous levons en tout honneur. De la salle (oda), on passe au tchardak (espèce de belvédère), où les pipes et le café ne tardent pas à être apportés. De même qu’en Orient on boit à la même coupe, ainsi l’on fume, en signe de respect, au même tchibouk, que l’on se passe de main en main. Aussitôt après le coucher du soleil, l’étranger est conduit dans l’appartement qui lui est destiné, et sur le seuil de sa chambre les