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que taillés dans le roc, le long des précipices, pour franchir les montagnes. Quant aux dromoi, routes carrossables, il n’y en a plus. Le sultan Mahmoud avait établi une de ces routes lors de son voyage en Bulgarie, de Stamboul jusqu’à Choumla ; cette voie était à la russe, avec des poteaux comme ceux qui indiquent les verstes ; elle est devenue impraticable, faute d’entretien.

On conçoit qu’avec un tel système de voies de communication le grand commerce soit impossible. Chaque province doit consommer presque à elle seule les produits de son sol ; aussi le bas prix des denrées surpasse-t-il toute croyance. Le bétail n’est guère plus cher : la livre de viande vaut 8 à 12 centimes, la livre de vin (car il se pèse) vaut un sou ; un mouton entier se vend 2 francs. Une vache coûte de 20 à 30 francs, un bœuf 50 ; un bon cheval serbe ou bulgare coûte de 80 à 140 francs ; en Macédoine ou en Romélie, il est plus cher ; les frais quotidiens de sa nourriture sont de 15 à 18 sous, de 25 sous à Constantinople[1]. Le quintal de blé coûte en Bulgarie de 2 à 3 francs, en Serbie 5 francs, en Hertsegovine 7. À Stamboul, pour tenir le pain toujours à bon marché, l’état a ses greniers, les seuls où les boulangers puissent s’approvisionner. Les paysans de la Thrace sont forcés de livrer à ces établissemens leurs grains à un taux souvent au-dessous du prix courant. Ces greniers de prévoyance, si anciens dans l’histoire d’Orient, seraient pourtant une bonne institution, s’ils n’outrepassaient pas leur but et n’enfouissaient pas la richesse du peuple, au lieu d’en assurer le développement continu. Les provinces ont aussi des magasins publics, où le paysan porte, comme en Hongrie, sa dîme, ou l’impôt en nature dû à l’état. Les familles gréco-slaves déposent fréquemment leur blé dans des cavernes et des trous garnis de paille, qui rappellent ces silos d’Égypte où les céréales se conservent durant des siècles.

Les marchés d’approvisionnement ont lieu, non le samedi, comme en Occident, mais le dimanche matin, jour dont le paysan profite

  1. Une peau de bœuf, dans les provinces, coûte de 7 à 9 fr., une peau d’agneau 1 fr., une livre de miel 40 ou 50 cent. Les cochons, dont la Serbie fait un si grand commerce, coûtent de 7 à 15 fr. engraissés, et pèsent de 150 à 200 livres ; ils se vendent en Hongrie 50 ou 60 fr., et à Vienne 75 fr. De Vienne, le surplus de ces cochons suit le Danube, arrive en Bavière, puis en Alsace, et de là vient jusqu’à Paris. Mais, tandis qu’à Zemlin l’octroi autrichien ne prélève par tête de ces animaux que 3 fr. 75 cent. pour les procurer aux villes d’Autriche en abondance, la douane française de Strasbourg les impose au taux énorme de 13 fr. 20 cent., ce qui prive nécessairement Paris d’un plus grand approvisionnement de bestiaux slaves.