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abondamment, quoiqu’on ne les cultive que dans les cantons agricoles. Il y a des tribus de pasteurs, d’autres qui se vouent spécialement à l’état de laboureurs. Le peuple agriculteur par excellence est le Bulgare ; on le voit se répandre par bandes appelées jetelatsi, en grec theristetais, dans les provinces éloignées comme l’Albanie, la Serbie, la Romélie, pour y faire les récoltes ; d’autres troupes de Bulgares s’en vont de même au printemps pour diriger les semailles. Dans tous les cantons agricoles, l’époque des moissons est un temps de réjouissances publiques ; la population des villages slaves s’en va couper ses blés au son des instrumens, le drapeau de la tribu en tête. L’instinct d’association, si prononcé chez ces peuples, fait que tout le monde se soumet volontairement et sans salaire à cette corvée générale dite la moba. Le blé, coupé ainsi collectivement, est porté dans les cours de ses propriétaires respectifs ; ce sera ensuite au riche d’aider de son superflu ses frères moins fortunés, et il le fera de bonne grace. L’impôt des pauvres, que nous regardons comme une nouveauté, est en Orient la plus vieille et la plus respectée des lois.

En Serbie, on commence les moissons le lendemain de la nativité de la Vierge, Gospoya dane (20 septembre) ; en Bulgarie, on les fait en juillet, et en juin dans la Romélie. Les chariots qui reçoivent les récoltes bulgares se composent d’une simple claie posée sur le train, au-dessus de roues très basses ; quelquefois ces roues ne sont, comme en Valachie et dans certains cantons d’Italie, que des disques en bois traversés par l’essieu. La charrue turco-bulgare a également conservé la forme primitive de cet instrument, c’est-à-dire que le bois du soc n’est point séparé de la tige ou longue barre attachée au joug du taureau. Cette forme se retrouve en Asie et sur le Caucase. De telles charrues ne font guère que gratter le sol ; mais la terre où fut adorée la déesse aux mille mamelles est encore si féconde, qu’à peine ce léger sillon est-il nécessaire. L’aire slavo-grecque est ronde comme un cirque ; au centre est un pilier : on y attache les chevaux, qu’on fait courir circulairement sur les gerbes étendues, qu’ils foulent sous leurs pieds, ou bien, comme en Macédoine, un bœuf traîne lentement sur cette arène un rouleau de marbre. L’un et l’autre usage se retrouvent en Moldo-Valachie.

L’agriculture a conservé dans la péninsule les pratiques du temps des patriarches juifs. N’écoulant pas le surplus de la moisson, le laboureur ne demande à la terre que ce qui suffit aux besoins locaux, aussi la plus grande partie du sol demeure-t-elle en friche. Il n’y a d’exploité en Serbie qu’un huitième des terres, en y comprenant même