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pyramides, de tours, de dômes dorés, et, parmi les bosquets de rosiers et de cyprès, le chant des rossignols et des perroquets empourprés se mêlait aux prières des imans. Des multitudes d’oiseaux étrangers venaient s’abattre en gazouillant sous la voûte embaumée de cette tente, dont les rameaux entrelacés s’allongeaient en forme de sabres. Enfin un violent ouragan tourna toutes ces pointes de glaives vers les différentes villes du globe, et surtout vers Constantinople, qui, située, dit Osman, à la jonction des deux mers et des deux continens, comme un diamant enchâssé entre deux saphirs, forme l’anneau principal de la chaîne qui embrasse le monde. Cet anneau tomba entre les mains d’Osman, et l’empire turc fut constitué.

Cinq siècles ont passé depuis le songe d’Osman ; la tente existe toujours, mais tôt ou tard elle sera partagée entre ceux qui l’ont plantée. Une si vaste demeure ne peut être occupée par un seul peuple. La pensée des Soliman et des Amurat, qui voulurent reculer jusqu’à l’Adriatique la frontière de leurs états, était rationnelle ; mais cette limite, légitime pour un pouvoir européen établi à Stamboul, ne pouvait convenir à une monarchie qui poussait jusqu’à l’obstination la fidélité à son origine musulmane. La Porte était condamnée par cette obstination même à rester une puissance asiatique, car l’islamisme est essentiellement fait pour l’Asie. Quoi qu’il en soit, l’empire turc se trouva, dès sa naissance, scindé en deux régions hétérogènes que la nature n’a point unies. D’un côté il y eut l’Égypte, l’Arabie, la Turcomanie, les pays caucasiens, qui descendent en amphithéâtre vers l’Euphrate et le Tigre, et aboutissent à la Mésopotamie, centre naturel du kalifat de Mahomet ; de l’autre, il y eut les îles nombreuses de la Méditerranée et les pays gréco-slaves, centre naturel du christianisme oriental, boulevard contre l’Asie et à la fois pont jeté entre elle et l’Europe. Cette dualité de l’empire turc est ce qui l’a perdu. Sans doute une telle position lui donnait le grand avantage d’un caractère mixte, à la fois asiatique et européen, Placé au point de jonction entre les trois plus anciennes parties du monde, dominant, au moyen de ses caravanes et de ses flottes, sur l’Océan indien par le golfe Arabique, et sur la Méditerranée par l’Archipel, le chef osmanli pouvait en toute vérité s’intituler padichah ou roi des rois ; mais, pour se maintenir à cette hauteur suprême, il fallait une administration sage et progressive, il fallait le gouvernement le plus civilisé de l’univers et en même temps le plus ferme : à cette condition seulement l’équilibre pouvait subsister entre tant de peuples