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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

garde jusqu’à ce jour, moyennant un tribut, ses antiques libertés et le droit de s’administrer séparément. Organe principal de l’église grecque, il est peut-être la puissance morale la plus respectée de tout l’Orient. Depuis la prise de Constantinople par les Turcs, l’Athos est, comme l’Olympe, l’espoir et le refuge des patriotes opprimés. Ainsi le moine et le klephte, armés, l’un de sa croix, l’autre de sa carabine, sont les deux sentinelles qui gardent le territoire et la nationalité helléniques.

On peut en dire autant des Sphakiotes et des habitans de l’Ida et des monts Blancs de l’île de Crète. Depuis plusieurs générations, ils soutiennent obstinément contre les envahissemens des Turcs les priviléges octroyés aux Crétois. En un mot, toutes les positions centrales des montagnes ont toujours servi de refuge contre la tyrannie, et elles donneront dans tous les temps des sauveurs à la Grèce.

Les tribus slaves ont aussi leurs champs d’asile et leurs montagnes sacrées. Pour la Bulgarie, c’est le mont Rilo et le Vysoka (l’ancien Scardus), qu’on croit haut de 9,600 pieds ; pour la Serbie, c’est le Roudnik ; pour les chrétiens de Bosnie et de l’Hertsegovine, c’est le terrible Montenegro. Les Gréco-Slaves d’Épire ont pour refuge l’Agrafa (le Pinde), qui, bien qu’élevé de 8,400 pieds, est tout couvert de forêts vierges. Au-dessous des cavernes qui percent la montagne en tous sens, autour de ses pittoresques cascades, on trouve de nombreux villages de brigands, comme disent les Turcs, c’est-à-dire d’hommes libres, hospitaliers pour le voyageur inoffensif, implacables pour qui vient en ennemi. Ces repaires de brigands (klephtachoria) jouissaient, il y a quelque temps encore, d’une grande prospérité ; quelques-uns, comme Metsovo, étaient devenus des villes de 20,000 ames, animées par l’industrie et les arts ; mais des pachas ont récemment détruit ces cités naissantes, et les hommes libres ont regagné les sommets klephtiques, qu’ils possèdent, depuis Skanderbeg, en pleine souveraineté. Les chaînes désordonnées qui parcourent l’Épire s’appuient la plupart aux bases de l’Agrafa, ce qui fait nécessairement dépendre le repos de ce pays de la volonté des tribus agrafiennes. Une partie de la Livadie avec son Parnasse (Liakoura) aux arides sommets élancés, de 2,240 mètres, avec ses défilés de l’Œta et ses glorieuses Thermopyles, dépend aussi de l’Agrafa.

L’Albanie, chaos tumultueux de rochers entassés, oppose à toute conquête ses formidables monts Acrocérauniens (Monti di Chimera). La Bosnie est une autre citadelle fortifiée par la nature. L’extrémité nord-ouest de l’empire, la haute Valachie, comme la Transylvanie,