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vrages en pierre de taille et même en marbre ; plusieurs d’entre eux sont situés dans les parties les plus épaisses de la forêt, et offrent des points de vue charmans ; le dernier construit est dû au sultan Mahmoud ; il l’a inauguré dix ou douze jours avant sa mort. M. Anselme nous a fait, sur les lieux mêmes, la description de la fête magnifique donnée à cette occasion, aux frais du ministre des finances, au sultan suivi de tous les grands de l’empire ; la circonstance la plus bizarre de cette fête a été l’immolation de sept béliers en présence du scheik-islam ou chef de la religion. Le sultan assistait à la cérémonie, assis dans un kiosque élégant, bâti à l’extrémité de la chaussée du bend. Nous y sommes entrés un instant pour nous rafraîchir. Mahmoud était déjà très affaibli lorsqu’il assista à cette fête ; mais il cachait son mal. Il a fait bonne contenance jusqu’au bout. Sa haine contre Méhémet-Ali était son sentiment dominant, et comme il sentait sa fin approcher, il n’avait pas voulu retarder davantage la vengeance qu’il espérait tirer de son vassal. L’avant-veille de sa mort, par un scrupule de conscience, il avait donné ordre de mettre en liberté toutes les personnes retenues en prison ; le haut fonctionnaire chargé de cette mission s’imagina que les gens en quarantaine avaient droit de profiter de cette mesure, et ils furent mis en liberté comme les autres. Ce trait peint l’administration turque.

M. Alléon a eu aussi la bonne idée de nous faciliter le moyen de visiter le nouveau palais du sultan à Tchiragan, dont la construction s’achève en ce moment. On ne peut donner une idée exacte de cette singulière construction qu’au moyen du dessin. Le soubassement et les colonnes de marbre du palais sont baignés par les flots du Bosphore, et la masse de l’édifice en bois peint s’élève en je ne sais combien de corps-de-logis surchargés d’ornemens bizarres ; c’est à la fois un monument et une série de boîtes de cartonnage. La portion du palais consacrée aux femmes, le harem, a particulièrement piqué notre curiosité. Autour d’une énorme salle éclairée par le haut sont disposés, comme autant de cellules, les appartemens des femmes du premier rang. Ils sont tous pareils ; qui voit l’un, voit tous les autres ; ils se composent d’une grande chambre dont les fenêtres sont garnies jusqu’à une certaine hauteur d’un treillage assez serré, de deux cabinets de toilette revêtus de marbre blanc, et de deux grandes armoires, l’une pour les habillemens, l’autre pour serrer les lits pendant le jour. Les appartemens, comme la salle commune et tout le reste du palais, sont garnis de nattes d’un tissu très fin et très doux pour les pieds. Les murs, les plafonds, sont peints de diverses couleurs ; chaque