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Te l’avouerai-je ? l’aspect de Constantinople n’a pas, dans le premier moment, produit sur moi l’impression à laquelle je m’attendais, et il m’a paru inférieur à celui de Naples. Je suis revenu peu à peu de ce premier jugement, et à mesure que je parcours les villes, dont se compose cette grande capitale, son port et le Bosphore, je rends plus de justice à Constantinople, et je me range à l’avis à peu près unanime des voyageurs. En effet, il est difficile d’imaginer une situation plus magnifique : elle est unique dans le monde par ses rapports avec trois mers. L’Europe et l’Asie s’y donnent la main. On comprend ici comment de pareils avantages ont été dans tous les siècles le point de mire de tous les peuples, et l’embarras que la politique actuelle éprouve en présence de l’ouverture d’un pareil héritage. Le moment où nous sommes arrivés à Constantinople est sans contredit le plus intéressant, le plus solennel, que la complication des évènemens antérieurs pût amener. Mahmoud, après de vains efforts pour régénérer et relever son empire, vient de mourir ; son armée est détruite, sa flotte est livrée à son ennemi. Le nouveau sultan est un jeune homme de dix-sept ans, sans moyens et sans instruction. La révolte éclate dans plusieurs provinces ; toutes les ressources sont épuisées. Que va-t-il arriver ? Méhémet-Ali se contentera-t-il de l’Égypte et de la Syrie, ou bien poursuivra-t-il ses avantages ? On dit qu’il s’est déjà montré disposé à la paix, en se soumettant même à la suzeraineté nominale du sultan. Pendant ce temps, la flotte française est aux Dardanelles, ainsi que le prince de Joinville, impatient de venir ici, au moins en visite, avec sa frégate. La flotte anglaise ne peut manquer de se rapprocher bientôt aussi. Tout semblait annoncer, il y a quelques jours, que la dernière heure de l’empire ottoman avait sonné, et que le partage allait commencer ; mais son agonie peut encore être assez longue. On parle déjà de conférences qui s’ouvriraient à Vienne entre les grandes puissances : puisse la France y tenir dignement sa place ! Depuis quelques jours, j’entends beaucoup raisonner sur cette grande question d’Orient, et je me suis fait aussi mon rêve : je m’y suis rencontré, m’a-t-on dit, avec lord Ponsonby, ce qui est, sans doute, fort honorable pour moi. Je te le résume dès à présent en deux mots : consécration du principe de la libre navigation de la mer Noire et destruction complète de tous les ouvrages de défense et de fortification du Bosphore et des Dardanelles, le tout sous l’autorité des grandes puissances, agissant de concert dans un haut intérêt de civilisation et de paix générale.

Comme les autres diplomates, notre ambassadeur, M. l’amiral Rous-