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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

courtoise avec la décence convenable. Dans les audiences qu’il donne aux dames anglaises, il fait déposer devant elles, par des esclaves, des corbeilles remplies de fleurs magnifiques, des tissus de cachemire à faire envie à la plus élégante, des étoffes brodées, des colliers, des anneaux et des boucles d’oreilles splendides. Telle est la galanterie asiatique, et elle en vaut une autre. Les rêves les plus chers sont réalisés ; les complimens orientaux, répétés à voix haute par les ministres du roi d’Aoûde, assurent aux belles Anglaises que le royaume entier du monarque est à leur disposition, qu’elles sont le soleil et la lune, et que leur éclat efface celui des pierres précieuses qu’on les supplie d’accepter. Hélas ! cette illusion dure peu. À peine les hymnes orientaux sont-ils achevés, qu’un officier du gouvernement anglais, un tchouprassie, enlève les séduisantes merveilles qui parlaient au cœur de l’Européenne, et les reporte dans les appartemens intérieurs de sa majesté. C’est le supplice de Tantale. Une loi, dont le gouvernement ne s’écarte jamais, prohibe toute espèce de présent, ou nouzzour, fait par les autorités hindoustaniques aux habitans anglais ; et chaque jour la demeure du résident est assiégée par les sollicitations de jeunes dames qui réclament vainement en leur faveur personnelle une exception qui, disent-elles, ne tirera pas à conséquence.

Le résultat de ces observations est, selon nous, la double et inévitable destruction qui s’opérera dans un temps donné et qui transforme déjà le caractère anglais et le caractère hindou, associés et hostiles l’un à l’autre, incompatibles dans leur intégrité, et qui ne peuvent se fondre qu’en se détruisant. Donner à ses enfans l’éducation anglaise, quand on habite l’Hindoustan, est impossible ; les envoyer à Londres est fort coûteux et peu favorable aux liens de parenté et à l’attachement mutuel. La plupart des familles enrichies qui désirent revoir l’Angleterre se hâtent de marier leurs filles au premier venu, indigène ou chrétien, et ces dernières, fatiguées d’une vie aride qui ne leur offre ni les consolations ni les plaisirs du foyer domestique, s’empressent d’accepter un établissement quelconque. On se marie avec une précipitation comique. « À peine, dit miss Roberts, l’arrivée d’une jeune personne est-elle annoncée, qu’elle reçoit, même sur la route, des messagers qui arrêtent son palanquin et qui lui offrent la main de messieurs tels et tels. On a vu des épouseurs forcenés franchir une centaine de lieues, dans l’espoir de ramener une femme, et ne pas réussir dans leur projet. Le club des jowwaubs, ou l’armée des célibataires malgré eux, plaisanterie du crû et toute particulière