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LETTRES D’ORIENT.

Cette journée a été, sans contredit, l’une des plus remarquables du voyage ; notre route nous a conduits dans de vastes forêts à perte de vue et d’une beauté ravissante ; les Pyrénées espagnoles n’ont que des bouquets en comparaison des forêts de l’Olympe : le hêtre, dans ses plus hautes dimensions, est l’essence dominante. Nous n’avions cette fois, en fait d’abris pour notre kief, que l’embarras du choix. Nous choisîmes une vaste éclaircie revêtue d’un gazon excellent pour nos chevaux : tout autour, la forêt nous offrait ses formes les plus pittoresques.

Nous couchâmes sur la lisière des bois, au village de Couvourla. Nos surudjis, qui ont intérêt à faire durer le voyage, puisqu’ils sont payés à la journée, auraient pu nous mener à une ou deux lieues plus loin, ce qui nous aurait bien avancés pour le lendemain ; mais ils prétendirent que le premier village était extrêmement éloigné. Il en résulta que nous eûmes un mauvais gîte, encore gâté par une pluie assez froide.

Brousse.

De Couvourla à Brousse, nous avons eu quatorze heures de route à cheval ; nous n’avons pas fait, de propos délibéré, une marche si fatigante, mais nous avons été trompés sur la distance : nos surudjis avaient beau dire que la journée serait trop forte, nous ne voulions plus les croire. Bref, nous n’étions rendus au gîte qu’à dix heures et demie du soir, par une nuit assez noire. Un orage avait grossi les torrens qui descendent de l’Olympe, et nous avons failli être obligés de coucher à la belle étoile en attendant que les grandes eaux se fussent écoulées. Heureusement nous sommes tous arrivés, gens et bêtes, sans encombre à notre destination. Méhémet, qui nous avait précédés de quelques heures, nous avait choisi une maison grecque très grande et très comfortable, et nous avons bientôt oublié les fatigues de la journée. Le seul souvenir qui restera est celui du beau pays que nous avons traversé. En avant de Couvourla, dans une plaine dont les eaux appartiennent au bassin de la mer Noire, est la petite ville d’Ainigheul ; plus loin, Acsou au débouché d’une gorge de l’Olympe ; enfin, au détour d’un des contreforts de la grande chaîne, l’œil embrasse à la fois la vallée de Brousse, renommée dans tout l’Orient par la richesse de sa végétation et l’abondance de ses eaux, et la ville elle-même, une ville de quatre-vingt à cent mille ames, bâtie en amphithéâtre au milieu des jardins, au pied de l’Olympe ; je cherche pour toi un terme de comparaison, et je ne trouve que la