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LETTRES D’ORIENT.

premier passant, et qui jusqu’alors avaient suffi à sustenter leurs animaux.

La couchée de Derbent, dans un assez joli konak dominant l’Hermus, fut meilleure que la journée. Derbent est un nom générique qui signifie défilé. À partir de Derbent, le pays redevient agréable. On suit d’abord l’Hermus pendant les trois quarts d’une journée, et l’on remonte ensuite le petit affluent de Ghédiz quand on veut, comme c’était notre intention, se diriger au nord vers Azani (Tchavder-Hissar, château du Seigle). La vallée de l’Hermus, dans cette partie, ressemble beaucoup à celle du Cher dans les environs de Saint-Amand ; M. Saul en a été frappé comme moi. Nous fîmes un excellent kief auprès d’un moulin, que nous avons désigné sur notre itinéraire sous le nom de moulin des Platanes. Autant le kief de la veille avait été maudit, autant celui-là reçut de bénédictions ; nous avions de l’eau et de l’ombre en abondance. De plus, nous avions des oignons crus pour assaisonner nos œufs durs ; tu vois que rien n’y manquait.

La petite ville de Ghédiz, acculée à des roches volcaniques, comme le Puy en Vélay, ne nous aurait donné qu’un gîte exécrable. D’ailleurs nous désirions aller plus loin. Quelques-uns d’entre nous y passèrent seulement pour prendre des provisions ; les autres continuèrent la route avec les bagages. Nous nous rejoignîmes tous à moitié chemin de la montagne qui sépare le bassin de l’Hermus de celui du Rhyndacus. Je me sers toujours de préférence des noms de la géographie ancienne pour les cours d’eau. Ce point de passage est, comme tous les cols séparant deux vallées, riche en plantes : nous ne pouvions pas, M. Saul et moi, suffire à les ramasser. Dans la soirée, nous eûmes froid ; nous étions arrivés à une assez grande hauteur. Nous couchâmes, très près et au-delà du col, dans un de ces villages de montagne appelés Jaïla, habités par des Turcomans. Nous retrouvions dans ce lieu sauvage les chalets de la Suisse, bâtis en troncs d’arbres. Le thermomètre ne marquait que 12 degrés centigrades ; il y avait loin de là aux 40 degrés du défilé du Lycus, huit jours auparavant. Il nous était resté encore assez de jour pour jouir de la vue qui s’offre sur tout le pays au sud et à l’est de ce jaïla. C’est dans la dernière de ces directions que s’élève le Mourad-Dagh, haute montagne neigeuse ; sur ses flancs, il existe des eaux thermales assez fréquentées par les gens du pays. Quand la nuit fut venue, nous aperçûmes des feux allumés en grand nombre par les baigneurs, campés, comme ceux d’Hierapolis, auprès des sources.