Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/351

Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
LETTRES D’ORIENT.

de s’en aller au fil de l’eau, pendant que le cheval regagnait la rive à la nage. Chacun tremblait que cette mauvaise chance eût atteint ou son lit ou son linge. J’étais plus inquiet que les autres, mais pour mes plantes : elles n’y étaient heureusement pour rien. Bref, tout fut repêché.

Le pays que nous traversions depuis Aïdin nous paraissait infiniment mieux cultivé et plus peuplé que tout ce que nous avions vu jusqu’alors. Sur la rive gauche du Méandre, je me suis cru un instant dans notre val de la Loire, tant les blés y étaient beaux. C’est le moment de la moisson. Le passage du bac nous avait fait perdre plus d’une heure ; aussi n’arrivâmes-nous qu’à la nuit à Arpas. Quoique nous eussions envoyé le kawas en avant, nos logemens se sont trouvés fort médiocres. La plupart d’entre nous couchèrent sous un kiosque ouvert. Il fallut encore s’ingénier pour se garantir de la fraîcheur de la nuit ; je me fis, avec quelques perches, de la ficelle, une de nos couvertures et ma moustiquaire, un petit logement aussi confortable que possible. Le souper se ressentit aussi un peu des circonstances. Le lendemain, l’aga nous fit quelques excuses. Son ton était distingué ; c’était un jeune homme de Constantinople, qui se regardait comme en exil dans cette petite charge. En sortant d’Arpas, nous aperçûmes plusieurs maisons d’assez bonne apparence, où nous aurions pu très bien nous caser, une entre autres, espèce de castel du moyen-âge, dont nos dessinateurs regrettèrent de n’avoir pu faire le croquis.

D’Arpas à la halte de Jeni-Scher, nous suivîmes une plaine fort monotone ; mais, à partir de ce dernier endroit, on entre tout-à-fait dans la montagne : ce sont de frais vallons, des cascades, de vrais bocages, où le laurier-rose tient toujours le premier rang, et, dans le fond, le mont Cadmus, qui, malgré les 25 à 27 degrés de chaleur que nous avons à supporter, porte encore des plaques de neige, ce qui, à une pareille latitude, suppose une hauteur de 2000 mètres. Je me retrouvai avec un vif plaisir dans les montagnes ; ce n’était plus l’air lourd de la vallée du Méandre, c’étaient les Vosges ou les Pyrénées, avec cette différence que la flore en était toute nouvelle pour moi ; aussi, M. Saul et moi, y avons-nous fait une abondante récolte.

Nous avons couché (sans puces !) à Karadja-Sou, très gros bourg assez industrieux, point mal bâti pour un bourg et même pour une ville de Turquie ; tout au pied est un vallon très enfoncé où l’on voit plusieurs moulins.