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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

lien des races. Les descendantes des anciens Portugais, remarquables par la singularité et le luxe exagéré du costume plutôt que par la beauté et la grace, épousent volontiers des officiers anglais, qui, d’ailleurs, ne recherchent pas ces unions. Les Arméniennes, d’une beauté éclatante, forment une classe tout-à-fait distincte, qui joint aux arts de l’Europe la connaissance des mœurs de l’Asie ; rien n’est plus curieux que de les voir et de les entendre, vêtues comme à Paris, chantant des airs hindous et s’accompagnant au piano. Il est facile toutefois de comprendre quel mélange bizarre doit résulter de cette vaste et multiple fusion.

Ces unions nombreuses entre les mahométans, les Hindous et les Anglais ont commencé l’affaissement des préjugés asiatiques. Le célèbre colonel Gardiner a contracté un de ces mariages, ou plutôt une de ces unions romanesques ; car il est difficile de déterminer au juste quelle espèce de cérémonie religieuse ou civile peut consacrer les liens formés entre un gentilhomme anglais de bonne famille et une beauté musulmane. Toutefois cette union passe pour légitime et engage sérieusement les deux parties. Le colonel servait dans les troupes du mahratte Holkar, lorsque la guerre éclata entre ce chef et l’Angleterre. Holkar essaya de retenir à sa solde, par l’intimidation et par les promesses, un officier qu’il estimait. Il le fit attacher à la gueule d’un canon, comme le pratiquent souvent les barbares dans leurs jours de colère, et ne put réussir à faire marcher le colonel contre ses concitoyens. Toujours escorté par des soldats mahrattes, un jour que Gardiner se trouvait avec eux sur les escarpemens d’un roc, il mesura de l’œil, dit le colonel Tod, l’abîme qui était à sa droite, et s’écriant : Bismillah ! s’élança d’une hauteur de près de cinquante pieds. Il se releva, courut vers le Gange, s’y jeta, et, voyant que son escorte venait de choisir une route plus commode et s’apprêtait à descendre vers la rivière et à le poursuivre, il resta dans l’eau, caché sous des joncs et ne laissant passer que sa tête, de manière à ne pas être aperçu. Les Mahrattes, en effet, traversèrent le fleuve sans le voir ; reprenant sa course vers la rive opposée, Gardiner ne tarda pas à se réfugier dans le camp anglais. Après une carrière militaire très honorable et très brillante, il devint épris de la sœur d’un rajah mahométan, pénétra dans le sanctuaire du zenanah, et enleva celle qu’il aimait. Le colonel vit encore, entouré de considération ; ses filles, élevées dans la religion mahométane par leur mère, qui jouit du rang et des honneurs princiers, comptent parmi les meilleurs partis de la péninsule. Quelque jour, la gazette