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LETTRES D’ORIENT.

le long de la muraille auprès de la porte, se présentaient avec gravité ; de temps à autre, ils nous offraient soit le café, soit la limonade. Enfin, c’était une visite turque dans toutes les règles.

Ce que j’ai vu des réformes du sultan dans le costume, l’administration civile et l’organisation de l’armée, m’a suggéré de tristes réflexions. L’état où plusieurs siècles de désordre et du despotisme le plus oppressif ont réduit la Turquie est tel, que le plus grand génie, aidé des plus puissantes ressources en hommes de talent et en argent, suffirait à peine pour relever cet empire, et il s’en faut à peu près de tout que ces conditions se trouvent réunies.

La veille de notre départ, nous avons renouvelé notre visite au kiaja-bey, et assisté à ses côtés, sur des chaises, aux exercices du régiment. À peine étions-nous rangés sur l’espèce de terrasse qui domine la place d’armes, que ses serviteurs ont apporté les pipes ; bientôt après on a servi le café et d’excellens sorbets. Pendant ce temps, les pauvres soldats, dirigés par des instructeurs tirés du régiment des gardes de Constantinople, faisaient la manœuvre et exécutaient la charge en douze temps à l’européenne, le tout vraiment assez bien pour des recrues de deux ou trois mois ; et nous, de payer en complimens sur la bonne tenue des troupes, l’excellente réception dont nous étions l’objet. En effet, nous étions comblés de politesses et traités en personnages de distinction. Il est juste de dire que le bon kiaja-bey n’avait pas attendu pour cela la lecture de nos firmans, dont nous venions seulement de lui donner communication. Vers la fin des exercices, un beau cerf apprivoisé parut sur la place, et nous le vîmes s’y promener tranquillement sans faire la moindre attention au bruit des tambours et des clairons. Quand le régiment rentra à la caserne, le cerf le suivit pour aller recevoir sa pitance accoutumée ; nous le revîmes bientôt après, posé, comme par la main d’un sculpteur, sur l’extrémité d’un petit mur de terrasse.

Nous avons logé à Aïdin dans une très bonne maison, chez un Grec de Sainte-Maure, tailleur et marchand établi dans cette ville depuis quelques années : nous sommes entourés de soins, et, à plusieurs égards, mieux qu’à Smyrne. La maîtresse de la maison, jeune Grecque de vingt ans au plus, et déjà mère de deux enfans, est très bien d’extérieur et de manières. Fille d’un ancien négociant de Chio massacré lors des désastres de cette île, elle fut vendue tout enfant comme esclave avec sa mère, puis rachetée et mariée à notre hôte ; leur petit ménage prospère ; la mère habite avec sa fille, et toutes