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tait notre service, si nous n’avions pris soin de le réparer nous-mêmes. Sans les provisions que nous avions apportées, nous n’aurions pas pu rester là même un jour. Je ne sais, en vérité, comment vivent les gens de ce village, et cependant ils habitent un pays fertile, propre à toute espèce de productions ; mais l’indolence naturelle à leur race, et à laquelle le climat semble porter invinciblement, les domine, les énerve, et la plupart du temps ils restent étendus sur des nattes, fumant leur éternel tchibouk. Nous avions pourtant fini, en envoyant au loin, par nous procurer de la farine de froment ; les femmes de l’aga, qui s’étaient chargées de la convertir en pain, nous en ont gardé près de la moitié. Méhémet était indigné, et parlait de faire signaler le fait dans la Gazette de Smyrne. Cet appel à la presse de la part d’un Turc nous a beaucoup divertis.

Ce qu’il y avait de vraiment insupportable à Gumusch, c’était la garnison de puces qui nous y disputait chaque nuit notre coucher ; nous en étions dévorés. Heureusement les journées nous dédommageaient des épreuves de la nuit nous nous trouvions dans une belle contrée, auprès des ruines d’une ville célèbre. Magnésie était arrosée par la petite rivière du Léthé, qui se jette dans le Méandre ; nous buvions avec les eaux du Léthé l’oubli de notre misérable gîte. Strabon à la main, nous avons pu reconnaître toute l’ancienne topographie de la localité. M. Poujoulat, collaborateur de M. Michaud, qui a visité Magnésie il y a quelques années, prétend à tort, dans l’ouvrage qu’ils ont publié en commun, avoir découvert ces ruines : elles sont indiquées sur la carte plus ancienne de Lapie, d’après le rapport du voyageur anglais Hamilton. M. Poujoulat a en outre le tort d’appeler théâtre le stade de Magnésie, et il ne dit rien du théâtre, dont pourtant les vestiges sont assez reconnaissables. Il garde également le silence sur des aqueducs très curieux que j’ai reconnus dans la plaine ; ils conduisaient vers Magnésie les eaux d’une source thermale abondante, prenant naissance au nord-est de Gumusch, au pied de la saillie des montagnes dont le village est bordé de ce côté. La source a une température de 40 degrés centigrades, et elle a la propriété de déposer sur son passage des concrétions calcaires : tous les aqueducs en sont recouverts. La ruine la plus remarquable de Magnésie est celle du temple de Diane Leucophryenne (aux blancs sourcils), qui avait presque autant de célébrité que celui d’Éphèse : moins riche que ce dernier, dit Strabon, il était plus remarquable par la perfection des sculptures qui en décoraient l’extérieur. Nous avons pu vérifier nous-mêmes ce témoignage en faisant exécuter