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ne sont pas allées aussi loin qu’on pouvait le craindre, et je puis, je crois, continuer mon voyage en sûreté de conscience.

Éphèse.

Nous voici au septième jour de notre tournée d’Asie mineure, marchant matin et soir, couchant dans d’assez mauvais gîtes, vivant d’une fort chétive cuisine. Le strict nécessaire ne nous manque pas, puisque nous emportons avec nous nos lits et des provisions ; la bonne humeur et la bonne santé de toute la troupe changent en plaisirs les incidens de cette existence nomade. Nous ne nous sommes arrêtés dans un village que le premier jour, c’était celui de Malahdgi, à quatre ou cinq lieues de Smyrne ; nous étions partis tard, et il était dix heures du matin lorsque notre caravane défilait dans les rues de Smyrne, escortée par notre hôte, M. Marc, tout fier de montrer au public que nous avions logé chez lui. Malahdgi, assemblage de mauvaises baraques construites en terre et couvertes de broussailles, est situé au milieu d’une vaste plaine légèrement ondulée, et qui serait d’une fertilité extrême, si elle était cultivée. À peine çà et là voit-on quelques champs qu’une misérable charrue a effleurés ; auprès des habitations, les paysans ont semé du tabac, qui réussit on ne peut mieux sans engrais. Quoique déjà habitués à la dépopulation de l’Asie mineure, nous nous étonnions qu’un aussi beau pays fût ainsi abandonné. Ce pauvre village est habité par des Grecs ; un petit nombre de Turcs y vivent aussi, déguenillés comme les autres, mais en maîtres. La maison de l’aga fut notre gîte, c’est-à-dire que nous étendîmes nos lits dans une chambre mal close, sur des nattes. Pendant que George, notre cuisinier, préparait le pilaw, nos jeunes gens s’amusaient à tirer des éperviers et d’autres oiseaux, mais ils se seraient bien gardés de faire le moindre mal aux cigognes nichées sur les maisons : elles sont pour ainsi dire sacrées dans ce pays.

Nous avions formé le projet de partir à quatre heures du matin, mais deux de nos chevaux s’étaient échappés du pâturage qui leur servait d’écurie, et nos surudgis (guides, palefreniers) perdirent une heure à les rattraper : d’ailleurs chacun manquait d’habitude pour le chargement des bagages. Il était donc six heures lorsque nous nous remîmes en marche, dirigés par le papas du village, qui s’était offert à nous conduire, par les ruines de Métropolis, à Zillè, l’ancienne Claros ; c’est un bon petit homme entre deux âges, très jovial, et pour qui