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LETTRES D’ORIENT.

souliers à la poulaine de cette époque. Nous étions tous ravis de notre trouvaille : M. de Humboldt recevra une copie de cette figure, signée de nous tous. Nous étions de retour vers cinq heures à Nif. Pendant que le pilaw se préparait, nous sommes montés au vieux château ; il n’offre rien d’intéressant, mais derrière ses ruines s’ouvre une petite vallée solitaire découpée de la façon la plus bizarre dans le flanc de la montagne. Là encore il y a des bois : c’est ainsi que je me figure qu’était la Provence il y a mille ans.

Le lendemain, après avoir examiné un tombeau du temps des croisés, qui décore une des fontaines du village, et les ruines d’un assez bel édifice fréquentées par les cigognes, nous sommes revenus à Smyrne par le même chemin que la veille, et nous avons fait les mêmes haltes. Cette fois, nous avons eu concert : un soldat du poste voisin, de la tribu des Zeibecks, nous a joué son répertoire sur la mandoline, et, en échange, nous nous sommes mis à chanter tout ce que nous savions de vieilles chansons rococo. Tu sais que j’en ai la mémoire assez ornée : les Turcs les ont trouvées charmantes.

Un autre jour, monté sur un âne et accompagné d’un de nos domestiques et d’un enfant qui chassait ma monture devant lui, je suis allé au village de Coucoudja, à peu de distance de la ville, vers le sud-est. On découvre de là les montagnes, le golfe, et Bournaba, sous un aspect différent de ceux que je connaissais déjà. Chemin faisant, je m’étais arrêté aux bains de Diane, belle source d’eau tiède qui formerait encore un bassin digne de recevoir une déesse, si on dégageait les abords des roseaux qui les obstruent pour laisser voir au-delà des jardins plantés d’orangers. Un fût mutilé de colonne est le seul vestige de l’ancienne splendeur de ces bains, réduits aujourd’hui à une petite cabane en bois, que notre consul y a fait établir pour son usage.

Les déplorables nouvelles, des 13 et 14 mai nous sont arrivées par le bateau à vapeur français. D’abord c’était une rumeur vague et d’autant plus inquiétante ; on parlait de l’Hôtel-de-Ville pris par les révoltés. Nous n’avons pu avoir nos lettres et les journaux qu’une heure après, et nous avons été rassurés. Le gouvernement, à ce qu’il paraît, a été pris au dépourvu : la leçon est dure. Se peut-il qu’on ait attendu un pareil moment pour former un ministère ? Enfin nous en avons un, et j’espère qu’il se maintiendra. Dans les premiers momens, je me suis reproché mon absence, et du sein de ma famille, que des évènemens plus graves pouvaient atteindre, et de la chambre, où ma place est également marquée par le devoir. Grace à Dieu, les choses