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LETTRES D’ORIENT.

que M. Texier, puisque la découverte et la description lui en sont dues. Cette course nous a conduits vers la fin de la journée à Cordelio, où nous avons retrouvé le caïk (canot) qui nous avait conduits le matin au pied de la montagne de Tantalis. Près de Cordelio, nous avons fait une halte à un pauvre café où étaient réunis plusieurs Turcs, dont un de distinction. C’était l’heure de la prière ; nous avons été édifiés de la piété de ces braves gens. Ils allaient tous successivement faire leurs ablutions dans le ruisseau voisin ; puis, se tournant vers la Mecque, ils accomplissaient leur acte de dévotion entremêlé de génuflexions. Un autre jour, dans un khan (cour entourée de magasins), j’ai remarqué des portefaix tout aussi scrupuleux : il y avait au milieu du khan une petite estrade décorée d’un simple croissant et destinée au même usage. Le sentiment religieux, grave et réfléchi comme il l’est chez les Turcs, inspire du respect ; mais que doivent-ils penser de nous, qu’ils voient si indifférens à notre culte ? On dit que le jugement que portent de nous les musulmans à cet égard est un des plus grands obstacles qu’éprouve l’affermissement de notre domination à Alger.

L’établissement des Eaux-Chaudes, ruiné et sale, mérite pourtant d’attirer les voyageurs à cause des montagnes voisines, que nous avons explorées jusqu’à une assez grande hauteur, parmi les touffes de cistes odoriférans et d’andrachnés. Nous nous sommes rapprochés de la montagne dite les Deux-Mamelles, qui sert de reconnaissance aux navigateurs. Du point le plus élevé de notre marche, nous avons eu une belle vue du golfe entier ; la division française avait déjà quitté le mouillage des îles d’Ourlac, où nous l’avions vue il y a huit jours. Dans le lointain, l’île de Metelin terminait le tableau. La halte du déjeuner et celle du goûter aux Eaux-Chaudes nous ont fourni encore l’occasion d’observer plusieurs scènes locales. Des Turcs de la campagne étaient réunis en ce lieu ; d’autres travaillaient dans les champs au son d’un tambour et d’une espèce de hautbois, mais ils n’ont pas tardé à venir auprès de nous avec leur orchestre pour se reposer, fumer et boire le café ; car un Turc ne passe guère trois heures sans faire ces trois choses. Nous nous sommes fait donner pour quelques paras une répétition du morceau de musique, qui ressemblait passablement à celle des bayadères. D’autres Turcs de la réunion avaient de petites guitares à quatre cordes de laiton, sur lesquelles ils jouaient des espèces de boléros, mais plus monotones et moins vifs qu’en Espagne. Le déjeuner était rehaussé par un plat de sardines bien fraîches, car nous les avions achetées sur le bord de la mer au moment