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LETTRES D’ORIENT.

sage très fréquenté pour aller dans l’intérieur du pays du côté de Magnésie ; on y passe en revue les chameliers qui apportent à Smyrne et en rapportent des marchandises, les bergers turcomans à la face bronzée et sauvage, avec leurs troupeaux de moutons à grosse queue, inconnus en France, et les marchands francs, arméniens, turcs, qui se rendent à leurs maisons de campagne, au joli village de Bournaba. Le Mélès est sans contredit un des cours d’eau les plus illustres du monde, si, comme le prétend la tradition, Homère est né sur ses bords.

La course au vieux château qui domine la ville est intéressante, quoiqu’il n’y ait plus que des pans de murs en ruine. Un buste colossal de marbre blanc, fort endommagé, et qu’on dit être celui de l’amazone Smyrna, fondatrice de la ville, orne une des portes : il a été décrit et figuré par Tournefort. La vue, soit qu’on se tourne du côté de la rade, soit qu’on dirige ses regards sur la vallée du Mélès et les aqueducs qui en décorent le fond, vaut à elle seule la course. En revenant du château, une étourderie de notre cicerone, qui s’est avisé de regarder en se moquant une négresse fort laide, a failli nous causer un certain embarras : la négresse a pris sa chaussure pour en frapper notre juif, et, sa colère s’animant par degrés, elle s’est mise à jeter des pierres à ceux d’entre nous qui étaient en avant. Je n’étais pas du nombre, mais j’ai vu le moment où cet incident allait causer une émeute dans le quartier : les femmes sortaient moitié en riant, moitié en grondant de leurs maisons, et les enfans turcs en bons croyans, s’apprêtaient à lancer aussi des pierres ; heureusement, des gens tranquilles se sont interposés. Mais nous avons eu là un exemple des conséquences que peut avoir la moindre action inconsidérée dans un pareil pays.

Hier, notre journée a été très bien employée ; nous sommes allés à Bournaba, de là aux grottes d’Homère et au lac de Tantale. Nous nous sommes arrêtés d’abord dans une maison de campagne turque dont nous croyions le maître absent ; il y était, et nous reçut à merveille, non dans sa maison, parce que ses femmes s’y trouvaient alors, mais dans un kiosque d’où la vue s’étend sur la ville et le port. Nous repartîmes enchantés de notre hôte, avec lequel, grace au peu d’italien que je sais, j’avais pu faire un bout de conversation. Les grottes d’Homère sont pratiquées dans une petite montagne calcaire isolée au milieu d’un pays d’origine toute volcanique et dont l’aspect m’a rappelé à beaucoup d’égards certaines parties de notre Auvergne. Notre déjeuner s’est fait au bord d’un ruisseau, sous des platanes. Des